Lorsqu’on vit avec une maladie chronique depuis des années, on finit par bien se connaître. On accumule des connaissances sur sa maladie et sur la façon dont elle influence le quotidien. Ces savoirs, précieux et uniques, sont de plus en plus reconnus par le monde de la santé. Depuis une vingtaine d’années, les programmes d’éducation thérapeutique du patient (ETP) valorisent le rôle des patients et de leurs associations dans l’accompagnement et le partage d’expérience. Mais qu’est-ce qu’un patient-expert, et comment le devient-on ?
L’exemple d’Hélène, de Lionel et d’Amira
Hélène, Lionel et Amira ont tous les trois traversé des épreuves liées à leur santé, qui leur ont permis de développer une expertise unique sur leur maladie.
Hélène, 42 ans, est atteinte de sclérose en plaques depuis une vingtaine d’années. Elle a présenté plusieurs épisodes de poussées, on parle d’une forme récurrente rémittente de la maladie. Progressivement, ces poussées lui ont laissé quelques séquelles avec lesquelles elle a appris à vivre. Elle a quelques troubles d’équilibre, et sa parole est parfois moins intelligible. Elle suit des séances d’orthophonie et de kinésithérapie depuis quelques mois. Elle réfléchit à l’idée d’accompagner de jeunes patients qui, comme elle, au début de la maladie, se sentent parfois isolés.
Lionel a 54 ans. Il a présenté 2 accidents vasculaires cérébraux (AVC) causés par une maladie cardiaque. Depuis son 2e AVC, il a dû arrêter de travailler. Il garde des séquelles que l’on qualifie d’« invisibles ». Il fatigue vite, il a du mal à se concentrer et à mémoriser des informations lorsqu’elles sont trop nombreuses, ou présentées de façon trop rapide. Au centre hospitalier où il a pu suivre sa rééducation, il a proposé d’organiser des groupes d’échanges avec d’autres patients et leur entourage.
Amira a eu un cancer de la gorge en 2020, juste avant de fêter ses 70 ans. Cela a été un vrai choc dans sa vie. A la suite du diagnostic, elle a été rapidement prise en charge. Elle a été opérée, et a suivi des séances de rééducation orthophonique afin de pouvoir reparler et manger à nouveau par la bouche. Elle a beaucoup appris sur ce qui était important pour mieux gérer sa maladie, et comment préserver sa qualité de vie. Forte de cette expérience, elle souhaite aujourd’hui soutenir d’autres femmes confrontées au même diagnostic.
Hélène, Lionel et Amira ont tous les trois une expérience riche et irremplaçable de la maladie chronique. Chacun de façon différente, ils souhaitent que cette expérience puisse être utile à d’autres. Ils sentent que ce qu’ils vivent est unique, mais ils savent aussi que l’expérience personnelle de la maladie peut devenir une ressource précieuse pour offrir un soutien concret à d’autres personnes.
Les patients-experts ne remplacent pas les professionnels de santé, mais leur rôle complémentaire apporte une perspective unique et souvent très concrète, qui enrichit l’accompagnement global. La communication d’informations médicales et scientifiques fiables et personnalisées sur l’état de santé du patient reste en effet du ressort des professionnels de santé.
Pourquoi devenir patient-expert ?
En cas de maladie chronique, chacun réagit différemment. Certains vont préférer passer à autre chose, mais d’autres souhaitent cheminer et parler de ce qu’ils ont vécu et vivent chaque jour. Cependant, il ne suffit pas d’avoir une maladie chronique pour en être expert.
Pour être efficace, il faut transformer son expérience personnelle en savoir utile pour les autres. Il faut pouvoir réfléchir à cette expérience et à son ressenti, identifier ce qui peut servir à d’autres, enrichir ses connaissances et apprendre à partager tout cela avec d’autres. Cela prend du temps, de l’énergie et un accompagnement adapté.
Comment se former ?
Il faut une formation certifiante de 40h minimum pour animer ou participer à des ateliers ETP. Il existe beaucoup d’associations et d’organismes régionaux qui forment en ETP. Parfois les hôpitaux offrent également des possibilités de se former (via les Unités Transversales d’Éducation du Patient ou UTEP). L’association France Assos Santé est une bonne ressource pour se renseigner.
L’université d’Aix Marseille (Unité mixte de formation continue en santé (UMFCS)) ou bien l’université des patients à la Sorbonne à Paris proposent des formations plus poussées : des diplômes universitaires (préparés en un an), ou des masters. Les formations destinées aux patients-experts visent à leur fournir des compétences pratiques et des outils pour transmettre efficacement leur savoir expérientiel. Par exemple, sont abordées les questions d’animation des ateliers, de préparation des contenus, voire des notions en pédagogie et en éducation thérapeutique. Certaines formations abordent aussi des notions plus spécifiques, comme la gestion des émotions ou l’accompagnement psychologique, afin que les patients-experts puissent répondre au mieux aux besoins des personnes qu’ils accompagnent.
L’intervention du patient-expert est largement reconnue par le monde de la santé. Elle peut prendre plusieurs formes : des interventions dans la formation des professionnels de santé, la publication d’informations, l’animation d’ateliers collectifs, le plus souvent dans des programmes d’éducation thérapeutique du patient (ETP), la participation à des études scientifiques…
Patient-expert, patient-ressource, patient-partenaire… comment s’y retrouver ?
Le grand public et les médias parlent souvent de patient-expert. Or, à l’heure actuelle les personnes concernées préfèrent le terme de patient-ressource, parce que ce terme montre mieux son rôle de soutien. Il désigne les patients qui partagent leurs savoirs expérientiels (issus de leur vie quotidienne) enrichis par des formations et des échanges avec des professionnels de santé. Leur intervention est particulièrement importante dans le cas de maladies rares, où les informations sont difficiles à obtenir puisque peu de personnes en sont atteintes.
Par ailleurs, le terme de patient-partenaire met l’accent sur la coopération entre le patient et les soignants, dans l’élaboration et la mise en œuvre des soins. Cette coopération est fondée sur une qualité des échanges et de la prise en compte des situations individuelles. Certains patients-partenaires sont ainsi présents dans des unités de soin, et sont mis à la disposition des personnes qui aimeraient bénéficier de leur accompagnement (parfois même lors des consultations).
Et en orthophonie ?
Les patients-experts jouent un rôle clé dans le soutien aux personnes présentant des troubles de la communication, de la parole et du langage, ainsi qu’à leurs proches. Ils interviennent dans les programmes d’ETP consacrés à ces troubles ou aux handicaps dits « invisibles ».
Ainsi, Lionel intervient à présent bénévolement au sein de l’hôpital où il a été soigné. Il anime des ateliers où 4 à 5 patients sont réunis pour évoquer leur expérience et se projeter dans l’avenir, et un atelier destiné aux aidants et familles des patients. Il y parle de ses AVC, en explique les séquelles, mais surtout, avec des outils simples, il permet aux patients de se projeter et redonne espoir. Des patients qui ne peuvent pas bien traduire leur ressenti se sentent soutenus par cette démarche.
Cependant, il reste encore trop rare que des patients avec des troubles de la communication osent devenir patients-experts. Avec du temps et un accompagnement adapté, cette transition est pourtant possible et peut s’avérer extrêmement bénéfique pour la personne. L’orthophoniste peut jouer un rôle dans ce cas, par exemple durant la formation, pour faciliter l’acquisition de ces nouvelles compétences.
Hélène, Lionel et Amira ont tous trois une maladie chronique différente. Mais ils ont eu envie de partager leur expérience et d’aider d’autres personnes qui, comme eux, sont malades. Tous trois se sentent à présent intégrés dans des dispositifs qui valorisent leur vécu. Grâce à eux et à leur intervention, des patients qui découvrent un nouveau quotidien, peuvent apprendre et échanger avec quelqu’un qui vit la même chose. Les professionnels de santé ont un savoir théorique, le partenariat avec les patients-experts est indispensable pour apporter cette expérience vécue et un soutien de qualité.