Les parents de la petite Lucie, âgée de 2 ans, sortent de la consultation chez le pédiatre. Lucie a une otite, elle doit prendre des antibiotiques et des anti-douleurs pendant 7 jours. Mais voilà, c’est une crise dès qu’on approche le flacon de sirop.
Camille a 30 ans. Son médecin lui a prescrit un traitement à base de cachets à avaler durant 15 jours. C’est la panique pour Camille, elle se dit qu’elle n’a jamais su avaler les comprimés.
Personne n’aime prendre un médicament et certaines formes sont plus ou moins bien acceptées (pipette, gouttes, poudre, gélule, cachet, sirop, produit effervescent). Lorsqu’il s’agit d’un enfant c’est souvent beaucoup plus complexe. Il ne comprend pas forcément l’importance du traitement. Si la prise de médicaments doit devenir chronique il est d’autant plus important de faire preuve de pédagogie. Parfois cette peur perdure avec l’âge. Des adolescents ou des adultes évitent certaines formes de médicaments (certaines formes galéniques) qu’ils estiment impossibles à avaler.
L’orthophoniste peut-il aider les familles ?
Comment expliquer cette peur chez les enfants ?
- Une expérience traumatisante associée à un état de douleur ou de malaise
La prise de médicaments arrive toujours dans un contexte difficile. L’enfant peut avoir de la fièvre, éprouver des douleurs. Il n’est pas dans sa forme habituelle et, en raison de son jeune âge, les arguments de l’adulte ne parviennent pas à le convaincre de l’importance de se soigner. De plus, la famille autour de lui peut être stressée par le contexte de la maladie. Les médicaments doivent, le plus souvent, être donnés à une heure fixe, et ce n’est pas toujours au moment où l’enfant a faim et est bien disposé ou même réveillé. La présentation du médicament et son mode d’administration présentent aussi des difficultés. Nous parlerons ici uniquement des produits donnés par la bouche, c’est-à-dire “par voie orale”. Ils sont variés : taille, couleur, goût, odeur, viscosité. Les modes d’administration ne sont pas toujours faciles : pipette ou cuillère le plus souvent.
- La néophobie naturelle de l’enfant
À partir de l’âge de deux ans, l’enfant passe par une phase de néophobie alimentaire, qui est une difficulté à accepter la nouveauté. C’est aussi à cet âge qu’il y a une période d’opposition naturelle (l’âge du “non”). Cela complique la prise de médicament
- Un trouble alimentaire
Pour certains enfants, porter à la bouche, mastiquer et avaler ne va pas de soi. Qu’il s’agisse de médicament ou de nourriture, certains enfants et même des adultes, ont du mal à avaler des morceaux. Ces difficultés sont souvent associées à des troubles sensoriels. L’enfant va mettre en place des stratégies d’évitement (avaler tout rond) ou stockage dans les joues. Certains vomissent, volontairement ou non.
Comment expliquer la peur chez les adultes ?
Cela peut venir d’une expérience passée traumatisante. Certains adultes ont des souvenirs très négatifs de prises de médicaments où on les a forcés à ingérer des sirops ou des gélules qu’ils n’ont pas supportés. D’autres ont déjà eu des difficultés à avaler des cachets, qui ont pu provoquer des fausses routes (quand on avale de travers) ou qui ont eu du mal à descendre dans l’oesophage, laissant alors une trace sensorielle désagréable.
Chez les adolescents et les adultes, la difficulté à prendre des comprimés est souvent due à cette dernière raison. Le patient croit que le médicament va rester coincé dans sa gorge et éventuellement l’empêcher de respirer. Il a peur de s’étouffer en avalant un cachet ou une gélule.
Que se passe-t-il dans le corps quand on avale ?
Les aliments, tout comme les médicaments, sont placés dans la bouche. Ils sont ensuite propulsés, grâce à la langue, vers l’arrière de la gorge. A ce stade, la volonté entre encore en jeu, il s’agit d’une phase où l’on maîtrise ce que l’on fait.
La déglutition est ensuite un réflexe. L’aliment est dirigé vers l’oesophage pour ensuite descendre dans l’estomac et être digéré. Cette phase est possible grâce à plusieurs protections automatiques contre les fausses routes. Notre corps est très bien fait. Les aliments sont envoyés dans la bonne direction sans que nous ayons à y penser. Heureusement d’ailleurs, car nous déglutissons plus de 1500 fois par jour (salive, aliments, liquides).
La fausse route
Il peut arriver qu’une gorgée ou une bouchée passe de travers. C’est une fausse route. Dans ce cas nous nous mettons à tousser ce qui va permettre au corps étranger d’être expulsé vers la bouche. Quand il s’agit de médicaments, les formes proposées sont trop petites pour nous “étouffer”. Au pire, elles nous feraient tousser mais elles ne peuvent pas provoquer de gêne respiratoire durable.
Quand on avale un médicament
Lorsqu’on avale un médicament ou quelque chose d’un peu gros sans le croquer, nous sentons le passage au fond de la gorge puis en haut de l’oesophage et c’est normal. Cela laisse une sorte de trace sensible, comme si on avait une trace rouge sur la main après une griffure. Plus on est tendu et stressé au moment d’avaler, plus les muscles autour de la gorge sont contractés, plus la sensation sera présente. C’est souvent cette sensation qui inquiète.
Que peut-on faire pour faciliter la prise de médicaments avec les enfants ?
- utiliser une tétine avec réservoir, disponible en pharmacie
- demander au pharmacien de changer la galénique (remplacer un comprimé par un sirop). Si c’est possible et quand c’est autorisé : écraser les comprimés et vider les gélules
- masquer le goût et la texture (dans une crème au chocolat par exemple)
- essayer de changer une pipette pour sa cuillère préférée en veillant à respecter le dosage
- créer un rituel réconfortant
- valoriser la réussite
- rester calme et ne jamais s’énerver
Que peut-on faire pour faciliter la prise de médicaments avec les adultes ?
- demander au pharmacien de changer la galénique. Si c’est possible et quand c’est autorisé : écraser les comprimés et vider les gélules
- mettre le médicament dans une crème dessert ou un aliment apprécié
- utiliser un aliment gras qui aide à faire glisser le médicament
- poser le médicament sur le bout de la langue, menton légèrement baissé : cela facilite la déglutition et contribue à mieux fermer encore les voies aériennes où ne doit pas aller le produit. En effet, quand on baisse la tête cela ouvre le haut de l’oesophage par où doit passer le médicament. Cela protège davantage les voies aériennes. Au contraire, balancer la tête en arrière favorise la fausse route : c’est dangereux et cela rétrécit le chemin naturel de la déglutition.
Rappelons que pour toute modification du traitement ( médicament, galénique, molécule) cela n’est possible que sous réserve de l’accord du médecin traitant.
Si ces « astuces » et conseils sont inefficaces, alors qui consulter ?
La première étape passe toujours par une consultation chez un médecin traitant. Au moindre doute, il proposera un bilan orthophonique pour aider à mieux comprendre et prendre en charge les troubles.
Le bilan chez l’orthophoniste commence par un entretien avec le patient. Le bilan anatomique et fonctionnel permet de mieux comprendre les blocages. L’orthophoniste pourra donc adapter ses supports visuels et sensoriels à chaque histoire personnelle. En cas de traumatisme, un suivi parallèlement avec un psychologue sera indiqué. Dans tous les cas, l’orthophoniste accompagnera son patient dans ses premiers essais et lui offrira ainsi un espace rassurant et professionnel pour dépasser les blocages.
Le bilan orthophonique est l’occasion d’évaluer si la plainte, qui porte sur la prise de médicament, ne s’inscrit pas finalement dans un trouble sensoriel et alimentaire plus large.
L’orthophoniste est le spécialiste de la cavité buccale et de son fonctionnement. Il est habitué à observer la bouche au repos et en fonctionnement : parler, avaler et respirer. Lors du bilan, il sera important de vérifier qu’aucune anomalie anatomique n’explique la difficulté à rassembler et envoyer les médicaments et les aliments dans la gorge et donc à l’avaler.
Des amygdales très volumineuses, une langue peu mobile peuvent entraîner une gêne à la déglutition.
Que peut proposer l’orthophoniste ?
Expliquer pour comprendre et rassurer
Il existe de très nombreux supports pédagogiques pour expliquer à un enfant ce qui arrive quand nous avalons quelque chose. Les vidéos et les radios, les schémas, les maquettes de bouche, la pâte à modeler, la visualisation de la bouche de l’orthophoniste sont autant d’outils possibles.
Quand le patient comprend qu’il existe énormément de verrous pour éviter que le bol alimentaire aille dans le mauvais trou (en direction des poumons) ou se coince, il est encore plus rassuré.
Essayer ensemble et rechercher les trucs et astuces qui faciliteront la déglutition de chacun.
Comprendre le processus complet de déglutition (avaler), commence déjà par toucher et regarder ce que l’on va mettre en bouche. Dans le cas en particulier d’un traitement chronique il est intéressant d’utiliser le médicament concerné. On essaiera de comprendre ce qui gêne : la couleur, le goût, la texture, l’odeur ? On peut ouvrir une gélule et regarder son contenu. Il est possible de remplacer la poudre ou les granulés par du chocolat en poudre pour se rassurer sur les premiers essais. On peut également utiliser une gélule vide plus petite, un bonbon de la même forme, apprendre à avaler une boisson avec des petites bulles avant de tester le cachet effervescent.
L’orthophoniste est le professionnel qui aidera l’enfant ou l’adulte à mettre des mots sur la peur ou la gêne et ainsi à mieux l’aider. Avec sa distance thérapeutique, il sera le mieux placé pour obtenir les premiers essais.
Si malgré tous les conseils qui vous ont été donnés dans cet article, les difficultés persistent, consultez un médecin.
Celui-ci vous orientera peut-être vers un orthophoniste et/ou un psychologue.
Le recours à l’orthophonie n’est donc pas systématique mais il peut être indiqué.