Bastien a remarqué que sa fille de 3 ans ne supporte pas d’avoir les mains sales :
« Elle veut que je lui lave les mains et si je ne le fais pas tout de suite, elle pleure ou se met en colère. Je ne sais pas si c’est un caprice ou une vraie peur. Que dois-je faire ? »
Papa de Lilou
La propreté, c’est important ?
Il est évident qu’avoir une hygiène corporelle est utile. C’est ce qui permet de rester en bonne santé et de ne pas véhiculer de maladies.
Mais les humains n’ont pas toujours eu les mêmes habitudes d’hygiène. La progression de celle-ci a permis d’éliminer un grand nombre de maladies et de limiter les épidémies. Dans l’Antiquité déjà, il existait des bains publics dans lesquels on pouvait se retrouver, se restaurer, faire de l’activité physique. Au fil du temps, les notions d’hygiène ont progressé, même si à certaines époques, l’apparence était plus importante que la propreté, comme au temps de Louis XIV. Ce qu’on appelle l’hygiène moderne a débuté tardivement : en 1850 un français prenait en moyenne un bain tous les deux ans ! Et avant 1980, beaucoup de maisons n’avaient pas encore l’eau courante. On est donc encore loin des normes et des habitudes actuelles.
Aujourd’hui en France, en général, on se lave quotidiennement le corps et le visage, et quand on a les mains sales, on les nettoie. C’est normal et sain. Cependant, dans certains cas, le nettoyage devient presque une obsession. Cela semble être le cas de Lilou.
Pourquoi Lilou veut tout le temps se laver les mains ?
Au préalable, il est important de savoir que les mains et le visage sont des zones particulièrement sensibles. Les récepteurs sensoriels y sont très nombreux, ce qui fait que l’on peut percevoir les choses de façon très intense ou désagréable quand on les touche avec les mains ou qu’on les pose sur le visage, alors que l’impression sera différente sur les jambes ou les bras par exemple.
Quand un enfant ne supporte pas d’avoir des saletés sur les mains ou sur le visage, on va d’abord s’interroger sur ce qui se passe autour de lui. Si, dans sa famille, l’hygiène est particulièrement importante, l’enfant va agir de la même façon. Certains parents ne tolèrent pas qu’il y ait la moindre saleté (dans leur maison, sur les vêtements, dans la voiture). Si leur enfant joue dans la terre, ils sortent immédiatement une lingette pour nettoyer ses petites mains. Si bébé met ses mains dans la purée, ils les lavent rapidement pour éviter de transformer la tablette de la chaise haute en zone collante et colorée. Certains parents préfèrent que l’enfant n’ait pas d’activité « salissante » : peinture, pâte à modeler, cuisine, jeux de sable. Les enfants grandissent en imitant leur entourage, donc si les parents sont très à cheval sur la propreté, leurs petits feront pareil. Dans ce cas, on va inviter les parents à lâcher prise sur une propreté parfaite. Un enfant se développe en explorant le monde qui l’entoure, et son premier outil d’exploration, ce sont ses mains ; il est donc normal que celles-ci soient parfois tâchées, humides, collantes. C’est même très bon signe, cela veut dire que l’enfant fait son travail de découverte, qui va lui permettre de comprendre le réel et de construire ses futurs apprentissages : en transvasant de la terre d’un seau à l’autre, en comparant deux liquides colorés, en faisant de la peinture à doigts, de la pâte à sel ou de la pâte à cookies, l’enfant se familiarise avec les textures, les quantités, les odeurs, les couleurs. Il est donc utile que les parents acceptent que leurs enfants rentrent un peu sales après un après-midi au parc, ou soient barbouillés de purée dans la toute petite enfance. Cela demande parfois de prendre sur soi mais c’est utile pour aider bébé à progresser.
Parfois, la famille n’a jamais particulièrement insisté sur le lavage des mains ou l’hygiène en général, et supporte tout à fait que l’enfant fasse des expérimentations, mais celui-ci refuse et se met en colère. Pour Lilou, c’est ce qui se passe : ses parents ne sont pas spécialement maniaques, ils la laissent toucher les objets à sa portée, mais aussi le sable, la terre ou encore la nourriture. C’est Lilou qui s’y oppose et quand, par malheur, elle souille ses mains, cela semble la stresser. Ses crises sont fréquentes et laissent ses parents démunis.
Est-ce grave de ne pas supporter d’avoir les mains sales ?
Si la seule difficulté concerne ce qui peut salir les mains, il est probable qu’habituer Lilou progressivement sera suffisant. On peut lui proposer de faire avec elle, sous forme de jeu : «je m’amuse à toucher la peinture avec le doigt, veux-tu faire pareil ? Je vais faire un gâteau, peux-tu mélanger avec moi ? Je vais planter des fraises, viens-tu m’aider ?» En voyant ses parents pratiquer ces activités et supporter d’avoir les mains sales, cela peut aider Lilou. On peut aussi lui apprendre à attendre un peu pour se laver les mains, en lui disant « je vois que tu as les mains sales et que ça te gêne. On va les laver après avoir compté jusqu’à 5 ». Puis on augmente progressivement la durée de l’attente, en rassurant l’enfant sur les sensations qu’il a et en verbalisant ce qu’il peut sentir « ah oui c’est humide, c’est collant, c’est visqueux, c’est marron, c’est froid… ». On peut aussi lui demander si elle se sent anxieuse ou en colère.
Si la difficulté est plus vaste, il est utile d’observer le comportement de Lilou au quotidien. On peut par exemple s’interroger sur les autres difficultés qu’elle rencontre dans le domaine sensoriel : a-t-elle du mal à supporter qu’on lui touche le visage ? qu’on lui mette de la crème solaire ? qu’on la coiffe ? qu’on lui lave le corps ? qu’on lui brosse les dents ? Est-elle aussi sensible aux bruits, aux lumières ? A certaines températures ? Au contact de ses vêtements ? Refuse-t-elle qu’on la mouche ?
Et si elle n’aime pas avoir les mains sales, est-ce avec tous les éléments qu’elle touche (sable, herbe, terre, peinture, pâte à modeler) ou juste avec la nourriture ?
Que faire si la difficulté de Lilou ne disparaît pas ou s’amplifie ?
La première chose est d’en parler avec son médecin traitant ou son pédiatre. C’est le premier interlocuteur qui pourra aider à distinguer un problème passager d’une gêne plus globale.
Si la gêne concerne le contact corporel mais que cela n’a pas de retentissements sur le langage ou l’alimentation, on pourra proposer à Lilou et ses parents de prendre rendez-vous avec un psychomotricien. Celui-ci évaluera avec la famille les difficultés corporelles de Lilou, et pourra éventuellement établir ce qu’on appelle un profil sensoriel. C’est une description de toutes les capacités à intégrer les informations sensorielles : on va explorer tous les sens (vue, ouïe, toucher…) et déterminer dans quels domaines l’enfant est plutôt hypersensible (plus sensible que la moyenne) ou hyposensible (moins sensible que la moyenne), et voir comment l’aider.
Parfois les difficultés sensorielles se retrouvent aussi dans l’alimentation. Dans le cas de Lilou, son papa a aussi remarqué qu’elle a du mal à manger certains aliments qui ont des textures irrégulières, et que les repas sont longs et compliqués. Un bilan chez un orthophoniste est alors tout à fait indiqué. Lors de ce premier rendez-vous, l’orthophoniste va apprendre à connaître l’enfant et son histoire, et va poser des questions très précises sur le développement sensoriel et sur les difficultés alimentaires. Il va observer l’enfant et proposer une rééducation. Ce suivi se fait toujours avec les parents, qui sont les premiers partenaires du suivi. L’orthophoniste travaille avec les parents et l’enfant pour aider à intégrer de façon adaptée les différentes informations sensorielles. Le suivi est donc basé sur des séances avec l’enfant et sur l’accompagnement parental.