Ma fille Emma, qui a 10 ans et est aveugle, est une enfant vive et curieuse. Cependant, j’ai remarqué qu’elle a parfois du mal à comprendre ce qui est attendu d’elle dans certaines situations sociales. Par exemple, lors d’un goûter d’anniversaire, elle a voulu toucher le visage d’une nouvelle camarade pour mieux “voir” qui elle était. La petite fille s’est reculée, visiblement mal à l’aise. Emma n’a pas compris cette réaction et en a été triste. Je me demande comment l’aider à mieux s’adapter à ces règles sociales que tout le monde connaît mais que l’on ne dit jamais.
Que sont les habiletés sociales ?
Communiquer et interagir avec les autres nécessite des compétences, aussi appelées habiletés sociales. Elles sont nécessaires pour savoir comment se comporter avec les autres : ce qui se fait ou ce qui ne se fait pas selon les personnes avec qui on est. Par exemple, avec un membre de sa famille, on peut avoir un langage familier, être proche physiquement, le tutoyer. On ne se comporte pas de la même façon avec un professeur avec qui il convient de prendre plus de distance et de montrer plus de respect : on le vouvoie, on garde une distance physique, on surveille son langage.
Tout un ensemble de règles de communication sont également des habiletés sociales : comment engager une conversation ou en sortir sans froisser ses interlocuteurs, savoir quand on peut prendre la parole, comment et quand changer de sujet, repérer quand on a fait une gaffe…
Ces compétences ne s’apprennent pas à l’école, ni même explicitement par l’entourage. Ce sont des habiletés qu’on apprend généralement par l’expérience, en observant les comportements et les réactions des autres.
Les conséquences de la malvoyance sur les interactions sociales
Pour comprendre les interactions sociales, on utilise des indices dont beaucoup sont visuels :
- Les expressions du visage
- la direction du regard
- les gestes, les mimiques (un signe de la main, un haussement d’épaules, des bras croisés…)
- la distance entre les personnes, leur position les uns par rapport aux autres (se font face, forment un cercle fermé, ouvert…)
Tous ces indices ne sont pas ou peu accessibles aux personnes très malvoyantes ou non-voyantes. Or, lorsque quelqu’un a un comportement qui n’est pas adapté aux conventions sociales, le plus souvent, on ne le lui dit pas, mais elle pourra s’en apercevoir à la réaction des personnes présentes (malaise, échanges de regards gênés, agacement, peur, désapprobation…).
Les personnes non-voyantes ou très malvoyantes ne perçoivent pas une grande partie de ces signes et peuvent alors avoir des comportements inadaptés sans s’en rendre compte, par exemple se tenir trop proche, couper la parole ou la monopoliser sur un sujet qui les passionne sans se rendre compte qu’ils ennuient les autres.
Les enfants déficients visuels arrivent également plus tardivement que les enfants voyants à se mettre à la place des autres, à s’imaginer ce qu’ils pensent ou ressentent. Alors que les enfants voyants commencent à développer cette compétence vers 4-5 ans, des études ont montré que ce n’était pas du tout acquis chez les enfants non-voyants entre 5 et 9 ans et pouvait apparaître chez certains seulement vers 11-12 ans.
En effet, le développement de cette capacité est très lié à la perception de la direction du regard de l’autre et à l’attention visuelle conjointe (regarder ensemble la même chose). Les enfants non-voyants mettent donc plus de temps à l’acquérir, en passant par d’autres canaux, nécessitant des capacités mentales plus élaborées, donc se développant plus tard.
Ce retard peut les faire paraître égoïstes, impolis ou vexants et être source de difficultés avec les autres.
Par ailleurs, les enfants non-voyants peuvent parfois également se sentir mis à l’écart, car ils ne perçoivent pas des éléments que tous les autres perçoivent. Par exemple, si tout le monde se met à rire parce qu’un enfant a fait une grimace, un enfant aveugle ne comprendra pas la raison de l’hilarité générale et ne se sentira pas inclus.
Comment aider mon enfant ?
Prenez le temps d’expliquer à votre enfant ce qui se passe dans les interactions sociales. Par exemple, si quelqu’un fait une blague et que tout le monde rit, vous pouvez lui dire : « Paul a fait une imitation de son père, c’est pour ça que tout le monde rit.». Ou bien : “ta camarade a l’air mal à l’aise quand tu approches autant ton visage du sien”.
N’hésitez pas, si vous le pouvez, à lui expliquer les règles que vous connaissez ou que vous avez repérées: on fait des pauses régulièrement dans une conversation à plusieurs pour laisser la place aux autres d’intervenir, on ne tutoie pas la caissière du supermarché…
Il est possible de faire repérer certains indices comme l’intonation de la voix pour repérer des émotions (si la personne parle), ou la direction de la voix pour repérer la position et l’orientation des interlocuteurs, ou certains mots utilisés dans la conversation, par exemple “Tiens, au fait…” pour signifier qu’on change de sujet.
L’enfant peut être encouragé à utiliser des mots pour exprimer ses émotions et ses besoins. Vous pouvez également montrer l’exemple en nommant vos propres émotions : « Je suis contente parce que tu as bien rangé ta chambre ! ». Vous pouvez également encourager votre enfant à pratiquer l’écoute active, en essayant de reconnaître les émotions des autres dans leur voix, ou jouer des émotions (en lisant un livre par exemple) et lui demander de les identifier.
Enfin, il est important que votre enfant ait l’occasion de pratiquer ses habiletés sociales. Vous pouvez organiser des jeux ou des activités avec des amis ou des camarades de classe, en restant près pour le guider si nécessaire.
Le rôle des professionnels
Des professionnels, comme les orthophonistes, des psychologues ou des éducateurs peuvent travailler avec votre enfant pour renforcer ses habiletés sociales. Les compétences seront alors travaillées de manière structurée et progressive, souvent en groupe. Ils peuvent, par exemple, proposer des jeux de rôle pour enseigner les conventions sociales ou des exercices d’écoute pour décoder les émotions dans la voix. Ils peuvent également enseigner certaines notions comme les cercles sociaux (soi, l’entourage très proche, l’entourage moins proche, les connaissances et les étrangers), ou les règles de la communication.
Les règles sociales peuvent représenter un défi pour les enfants déficients visuels, qui sont privés d’indices précieux pour apprendre à s’adapter. Ils peuvent alors avoir des difficultés à comprendre les intentions des autres, leurs émotions, à s’intégrer au groupe et à adopter les comportements attendus. Cependant, il est possible de les aider dans cet apprentissage en leur montrant et en leur expliquant ces règles qu’il leur est difficile d’apprendre naturellement par l’observation.