Sylvie, 51 ans, a depuis quelque temps la voix qui s’aggrave : on la compare souvent à Jeanne Moreau, et parfois au téléphone on l’appelle Monsieur. Ce qui au départ la faisait sourire commence à l’inquiéter, d’autant qu’elle est fumeuse et qu’on lui a souvent répété les risques du tabac. Cela correspond bien à son image de bonne vivante, elle n’est pas vraiment gênée et n’a aucune douleur, elle hésite donc à consulter son médecin.
Nous connaissons bien l’impact du tabac dans de nombreuses maladies et en premier lieu dans la survenue des cancers de la sphère ORL (ORL = oto-rhino-laryngologie c’est-à-dire oreille, nez et gorge). C’est d’ailleurs probablement ce qui freine Sylvie, qui ressent une petite inquiétude et de la culpabilité. Même si l’on pense d’abord au cancer, d’autres maladies de la gorge sont liées au tabac. Afin de s’assurer que tout va bien, il est effectivement nécessaire de consulter un médecin. Allo Ortho vous en dit un peu plus.
Comment fonctionne la voix ?
La voix est un instrument à vent. L’air sortant des poumons remonte dans la trachée et passe entre les cordes vocales, qui sont situées à l’horizontale, au milieu du cou. Plus les cordes vocales vibrent vite, plus la voix est aiguë. Le son produit par les cordes vocales est ensuite enrichi dans les cavités de résonance qui se trouvent sur son chemin (la gorge, le nez, la bouche) ce qui va participer à donner la couleur particulière de la voix, qu’on appelle le timbre.
Pourquoi le tabac aggrave-t-il la voix ?
En passant entre les cordes vocales, la fumée du tabac crée une inflammation et donc un gonflement des cordes vocales. Cela peut être passager ou plus durable. Par exemple, il n’est pas rare de sentir que la gorge est irritée après une soirée où l’on a occasionnellement beaucoup fumé, ou si l’on se trouve en présence de fumeurs de façon intensive. On peut avoir la voix un peu cassée et rauque, mais en général cela disparaît au bout de quelques heures ou quelques jours, sans traitement particulier.
Quand le tabagisme est régulier, l’inflammation peut perdurer et la voix peut progressivement se modifier. Les cordes vocales s’épaississent et s’alourdissent, le son produit est donc plus grave, plus rauque. Cela entraîne même parfois des confusions au téléphone. Il n’y a pas toujours de douleur associée, et, le plus souvent, il n’y a pas de vraie gêne vocale. Cependant certaines personnes trouvent que parler dans le bruit ou parler fort devient plus difficile, et que, parfois, elles sont presque aphones si elles abusent un peu.
Que doit faire Sylvie ?
La première chose à faire en cas de doute (voix qui s’aggrave, douleur dans la gorge ou dans l’oreille lorsque l’on parle ou qu’on avale, sensation de gêne au milieu du cou), c’est de consulter le médecin traitant. Celui-ci orientera probablement Sylvie vers un médecin ORL (oto-rhino-laryngologiste) qui, à l’aide d’une petite caméra, ira directement voir comment sont les cordes vocales et quelles sont les raisons de l’aggravation de la voix. En fonction de son diagnostic, un traitement sera proposé.
Quels sont les diagnostics possibles ?
Il existe de multiples raisons d’avoir une voix abîmée. Lorsque le tabac est en cause, deux diagnostics principaux vont être suspectés.
Il est évident que la peur de Sylvie concerne un probable cancer de la gorge. Le tabac, a fortiori, s’il est accompagné de consommation régulière d’alcool, est un facteur de risque des cancers des cordes vocales. Au cours de son examen, l’ORL va donc vérifier qu’il n’existe pas de lésion inquiétante dans la bouche et la gorge.
On peut aussi parler de l’oedème des cordes vocales (autrement appelé pseudomyxome ou oedème de Reinke), qui va nous intéresser tout particulièrement ici. Il faut savoir que, bien souvent, le patient chez qui on découvre un oedème de Reinke n’a pas de plainte particulière pour sa voix. Il peut consulter pour tout autre chose (des douleurs aux sinus par exemple) et c’est le médecin qui l’alerte sur la raucité de la voix (voix rauque).
Qu’est ce que l’oedème de Reinke
L’espace de Reinke est un petit espace de glissement à l’intérieur de la corde vocale. Avec l’inflammation liée au tabac, cet espace peut se remplir de mucus. Les cordes sont plus lourdes, vibrent moins vite, ce qui donne une voix rauque et grave. À l’examen, l ORL constate un aspect un peu gélatineux des cordes vocales.
Quel est le traitement de l’oedème de Reinke ?
En premier lieu, on suggère au patient d’arrêter le tabac, ce qui aura des répercussions positives sur sa santé d’une manière générale. L’oedème de Reinke ne dégénère habituellement pas en cancer, mais une surveillance est nécessaire lorsque l’on est fumeur régulier. L’association alcool + tabac étant particulièrement risquée pour le larynx (zone du cou où se situent les cordes vocales), la modération s’impose.
Un rendez-vous avec un orthophoniste est proposé, afin de faire le point sur l’utilisation de la voix et de mettre en place une rééducation où le patient va apprendre à ne pas malmener ses cordes vocales. La rééducation peut comprendre des échauffements corporels, un travail de la posture, de la respiration, de l’articulation.
Une intervention chirurgicale est généralement proposée par l’ORL. Sous anesthésie générale, en passant par la bouche, le chirurgien va vider l’oedème.
Après l’intervention, le patient doit respecter un repos vocal total de quelques jours durant lesquels il ne parle pas et ne chuchote pas (on écrit sur une ardoise par exemple). À l’issue de ce repos vocal, la rééducation orthophonique reprend. Le changement de voix après l’intervention est spectaculaire. La voix, qui était très grave, va devenir plus aiguë, plus proche de la voix avant l’oedème, ce qui peut être surprenant et déstabilisant. Durant les semaines suivantes, elle va se modifier doucement. Les rendez-vous avec l’orthophoniste vont permettre d’accompagner ces changements et de se familiariser avec cette nouvelle voix, que parfois, on avait fini par oublier.
Un changement de voix, quel qu’il soit, nécessite une consultation médicale et, dans bien des cas, un accompagnement orthophonique. Lorsque le tabac est en cause, une diminution voire une suppression totale est un gage de meilleure santé. Il est possible de se faire accompagner dans le sevrage tabagique, parlez-en avec votre médecin traitant.