Lorsque l’enfant est suivi pour son alimentation, l’orthophoniste sollicite régulièrement les parents pendant et entre les séances de soins. Cela s’appelle le partenariat parental. En effet, le rôle de l’orthophoniste n’est pas d’améliorer l’alimentation de l’enfant dans son bureau. L’objectif du soin est d’agir sur son quotidien. Or, ce sont les parents qui agissent chaque jour auprès de leur enfant. L’orthophoniste va les aider à faire un pont entre ce qui est travaillé en séance et les besoins de leur enfant au quotidien. Mais le rôle des parents commence même avant le démarrage des séances de soin orthophonique.
La prise de rendez-vous pour le bilan
Différentes situations sont possibles pour faire une demande de bilan orthophonique. Cela dépend de la conscience qu’ont les parents des difficultés alimentaires de leur enfant. Le niveau de conscience détermine le degré de motivation pour s’engager dans un soin orthophonique. En effet, les soins orthophoniques peuvent entraîner la modification des conditions de repas en famille et cela n’est pas toujours simple. Parfois, le parent n’a pas conscience des difficultés de son enfant. Dans ce cas, la prise de rendez-vous se fera sur conseil d’une personne extérieure.
La motivation qui vient du parent
Parfois, c’est le parent lui-même qui va demander à son médecin traitant une ordonnance. En difficulté face à l’alimentation de son enfant, le parent est alors moteur dans cette première demande. C’est ce qu’on appelle la motivation intrinsèque, celle qui vient du parent lui-même. Elle prend source dans les difficultés et questionnements accumulés au fil des jours. Dans ce cas, l’engagement des parents est présent dès la première rencontre avec l’orthophoniste. Ils ont des attentes et souhaitent avoir des éléments pour comprendre et modifier la situation alimentaire de leur enfant.
La motivation qui vient de l’entourage
Dans d’autres situations, ce sont des professionnels ou l’entourage qui vont suggérer aux parents de demander une ordonnance pour aller réaliser le bilan. Dans ce cas, la motivation est extrinsèque aux parents, c’est-à-dire venant d’autres personnes. Cela arrive parfois lorsque c’est un premier enfant et que les parents ont peu de repères de développement. Cela arrive aussi lorsque les difficultés alimentaires sont présentes mais que les parents se sont adaptés à la maison pour le confort de leur enfant, sans même s’en rendre compte. Les difficultés sont visibles dès que l’enfant mange à l’extérieur. Par exemple, c’est le cas lorsqu’un enfant ne mange pas de morceaux. Les parents vont alors tout mixer à la maison. Ils ne se rendent pas compte que cela entretient les difficultés jusqu’à ce que l’enfant aille en crèche ou à l’école. La motivation peut devenir intrinsèque lorsqu’il y a une prise de conscience des difficultés dans un nouveau contexte alimentaire.
Le premier entretien
L’orthophoniste reçoit les parents et l’enfant en bilan quelle que soit leur source de motivation. La première étape du bilan est un entretien qui dure entre une heure et une heure et demi. Il sert à balayer l’histoire médicale, développementale et alimentaire de l’enfant. L’objectif est de recueillir un état des lieux des difficultés actuelles de l’enfant. Ainsi, le développement sensoriel va être évalué. Un enfant hypersensible peut développer une sensibilité de la bouche qui gêne l’évolution de l’alimentation. Le développement de la motricité du corps et de la bouche donne également des explications sur de possibles difficultés à téter ou à mâcher. Enfin, lorsque l’enfant peine à manger dans sa toute petite enfance, il peut devenir difficile à table. Mais cela est souvent une conséquence de difficultés sensorielles ou motrices, pas un manquement éducatif de la part des parents.
Tous ces éléments sont discutés lors du premier entretien. L’orthophoniste mène un temps d’échanges approfondis car les éléments repérés sont essentiels pour poser un diagnostic. Les parents confient au professionnel des éléments difficiles de l’histoire de leur enfant. L’orthophoniste étant un professionnel soumis au secret médical, cela se fait en confiance et en sécurité.
Observations et évaluations
L’orthophoniste complète l’entretien par l’observation de l’enfant face à l’alimentation, le fonctionnement de sa bouche, son comportement pendant un repas. Pour cela, le professionnel observe l’enfant dans son bureau, accompagné du parent. L’orthophoniste peut aussi demander une ou plusieurs vidéos de repas à la maison pour l’analyser. En effet, comprendre comment l’enfant mange dans son milieu de vie est essentiel pour proposer un soin adapté et efficace. Un répertoire alimentaire appelé «panel alimentaire» est également demandé pour observer les familles d’aliments acceptées, les adaptations de textures ou les rigidités de l’enfant face aux marques ou aux couleurs des aliments. L’orthophoniste note également ce que les parents souhaiteraient que leur enfant mange ainsi que les habitudes familiales. Si l’enfant est assez grand, il peut aussi exprimer ce qu’il aimerait tester.
Dès le bilan, les parents sont des partenaires indispensables à la pose du diagnostic. Le plan de soins est défini au plus près des besoins de l’enfant et des attentes des parents. C’est ce qu’on appelle un plan de soins fonctionnel.
Pour les parents envoyés par un tiers ou qui ne voyaient pas l’intérêt du bilan pour leur enfant, celui-ci peut avoir un effet sur leur motivation. Les éléments de compréhension apportés par le professionnel peuvent permettre une prise de conscience et un développement de leur motivation intrinsèque à s’engager dans un soin. Pour ceux dont la motivation était déjà bien présente, le bilan vient souvent valider leur envie d’agir face aux difficultés de leur enfant.
Le soin orthophonique
À l’issue du bilan, l’orthophoniste peut poser un diagnostic de trouble alimentaire pédiatrique si l’enfant en présente les signes. Un soin est alors proposé mais pas toujours démarré immédiatement.
Quand commencer le soin ?
Si la gêne n’est pas franche, s’il n’y a pas vraiment d’attentes de la part des parents et s’il n’y a pas d’urgence médicale, l’orthophoniste peut différer le soin. L’autre cas de soin décalé peut être des évènements familiaux ne permettant pas l’engagement instantané, comme une naissance ou un décès. Le professionnel demande alors aux parents de reprendre contact lorsqu’ils le souhaiteront.
Le plan de soins est expliqué aux parents et comporte des objectifs très concrets, répondant à leurs attentes. Si le parent comprend le contenu du plan de soins, alors il s’engagera plus facilement dedans. En effet, le soin orthophonique en alimentation demande un engagement total des parents pendant et entre les séances. L’orthophoniste est responsable de mettre en œuvre un soin adapté aux besoins de l’enfant. Le parent s’engage à amener son enfant aux rendez-vous et à mettre en pratique certains points entre les séances. Ses observations à la maison permettront d’ajuster les objectifs de soin.
Les séances d’orthophonie en travail sensoriel ou moteur
Chaque enfant a un plan de soins bien précis que l’orthophoniste va définir grâce au bilan.
L’enfant peut avoir des objectifs sensoriels, par exemple, pour travailler une bouche trop ou pas assez sensible. Les objectifs peuvent aussi être moteurs pour entraîner des mouvements pas assez toniques ou pas assez précis de langue, des lèvres, des joues. C’est ce qui est travaillé par exemple, chez le bébé, pour entraîner la succion ou chez le plus grand pour la mastication.
L’orthophoniste peut travailler en séance en utilisant des massages autour ou à l’intérieur de la bouche selon les besoins de l’enfant. Le professionnel propose aussi des exercices pour bouger la bouche, en utilisant du matériel ou simplement avec les mains. En général, une séance par semaine est proposée mais si rien n’est fait entre les séances, les effets des exercices seront moins importants. Ce n’est pas avec 30 minutes d’orthophonie par semaine que la bouche va évoluer. L’objectif est de réorganiser certains mouvements de bouche ou certaines sensations. C’est par la répétition des exercices que l’enfant pourra faire évoluer sa bouche. Mais selon l’âge de l’enfant, ce sont les parents qui assureront le suivi des exercices à la maison car l’enfant ne pensera pas de lui-même à faire ce «travail». Les parents sont donc invités à assister aux séances ou à venir en fin de séance afin de comprendre quoi faire, comment le faire et quand le faire. L’orthophoniste demande toujours que soient réalisées les activités réussies pendant la séance et non ce qui a été difficile. Des supports sous forme de fiches d’exercices, de fiches missions sont proposés afin d’aider les parents.
Les séances d’orthophonie en exploration alimentaire
Lorsque les objectifs sont plutôt alimentaires, l’orthophoniste va définir le contenu des séances à partir des documents remplis par les parents lors du bilan. En effet, le professionnel partira des aliments que le parent souhaite travailler pour son enfant. Si l’enfant est assez grand, il pourra exprimer ce qu’il souhaite découvrir. On peut tout à fait travailler le hamburger en séance avec un adolescent qui souffre de ne pas pouvoir partager cela avec ses amis. Dans les séances d’exploration alimentaire, ce sont les parents qui apportent les aliments nécessaires à la séance. Un engagement est donc nécessaire afin d’anticiper cette logistique. L’objectif de ces séances est d’entraîner la bouche à accepter petit à petit un nouvel aliment, une nouvelle sensation. La recherche nous montre que la bouche a besoin de 20 à 25 présentations pour s’habituer à un nouvel aliment. C’est le processus d’habituation. La simple séance d’orthophonie ne suffit donc pas. L’orthophoniste prévoit des supports afin de poursuivre le processus à la maison. Le parent est le garant de la poursuite de ce travail afin que le soin puisse avancer.
Quels que soient les objectifs de soin, l’enfant et son parent reviennent avec les fiches remplies à chaque séance. Un retour est fait sur la semaine écoulée et sur la réalisation des exercices. Selon les difficultés ou les réussites rapportées par les parents, l’orthophoniste ajuste le contenu de sa séance. Le soin orthophonique se fait donc en co-construction grâce aux interactions constantes entre le professionnel, les parents et l’enfant.
La fin du soin
L’orthophoniste propose régulièrement un point d’évolution. Ce point permet de valoriser certains progrès, d’ajuster le contenu des séances si de nouvelles attentes émergent. Il permet aussi d’échanger en cas de difficultés du côté des parents ou de l’enfant à réaliser les tâches demandées à la maison. L’orthophoniste en profite pour reprendre certaines explications ou échanger sur la perspective d’une pause dans le soin. Cette pause peut être décidée pour différer la suite du soin en cas de difficultés d’engagement ou d’évènements familiaux ne permettant pas d’être disponible au soin orthophonique.
La pause peut aussi être décidée car les parents rapportent une évolution positive dans le comportement de l’enfant. Il goûte plus facilement, devient curieux, le panel alimentaire s’élargit. Les repas à la maison sont moins lourds, la vie sociale alimentaire (cantine, restaurant) devient possible. Pour faire une pause, tout ne doit pas être parfait. C’est l’échange entre les parents et l’orthophoniste qui aide à la prise de décision. Lorsque le parent se sent suffisamment «outillé» pour continuer avec son enfant, la pause est décidée ensemble avec la possibilité de se revoir de manière plus espacée.
À chaque étape du soin orthophonique alimentaire, le parent est un partenaire essentiel.
Dès le bilan, il rend compte de la situation de son enfant, de ses attentes, de son vécu. Il donne toutes les informations nécessaires à la pose d’un diagnostic en cas de trouble alimentaire pédiatrique. En cas de travail moteur ou sensoriel en séance d’orthophonie, le parent sera le garant de l’entraînement de la bouche plusieurs fois entre chaque séance, indispensable pour l’efficacité du soin. Le parent exprime ses attentes et ses habitudes alimentaires familiales. Cela permet à l’orthophoniste d’ajuster la proposition de soin au plus près des besoins. Le but du soin orthophonique n’est pas de rendre l’enfant bon «goûteur» ou bon «mangeur» dans le bureau du professionnel. L’objectif est de rendre l’alimentation de l’enfant plus confortable dans ses différents contextes alimentaires, comme à la cantine ou à la maison. Pour travailler sur les situations du quotidien, l’orthophoniste ne peut pas le faire sans le parent partenaire.
Enfin, au fil des séances, le partenariat passe aussi par une communication dynamique régulière. Le parent rapporte les signes montrant une évolution favorable à une décision de pause voire un arrêt du suivi.
En soin d’alimentation mais aussi dans les autres soins pédiatriques, l’orthophoniste n’est pas un soignant magicien. Sans le parent partenaire, il ne peut pas mener un soin efficace.