Esther est enseignante née et formée à Paris et elle part s’installer en Polynésie.
«Je m’interroge sur les éventuelles particularités langagières que je pourrais y rencontrer chez les enfants de ma future classe.»
Connaître les particularités langagières du lieu
Selon le territoire sur lequel on arrive, il peut exister une situation de bilinguisme véritable mais aussi, et plus fréquemment, des particularités linguistiques, propres à un DROM-COM. En Polynésie, le tahitien et le français cohabitent au quotidien. C’est la même chose dans les autres DROM-COM : dans les Caraïbes, les langues créole et française sont utilisées en même temps.
Mais les deux langues peuvent se mélanger et aboutir à des expressions, des structures de phrases ou encore du vocabulaire particuliers, qu’on ne retrouve pas en métropole. Il existe aussi des accents. En général, quand on pense au créole, on l’associe à l’absence de «r» mais il y a d’autres spécificités. En tahitien, le «h» est aspiré et pas en français. En effet, certains sons du français n’existent pas ou ne sont pas différenciés en tahitien : le «an» et le «on» ne sont pas distingués. On dira plutôt «ballan» à la place de «ballon».
Quand on arrive sur un nouveau lieu, il faut donc apprendre à connaître toutes ces différences, les intégrer et les respecter.
Une enseignante ou toute personne travaillant dans l’éducation, la santé ou la communication en général peut se trouver perturbée par l’utilisation d’expressions ou de mots peu utilisés en métropole. Certains sont même considérés comme incorrects en français «de métropole». Pour autant, ils font partie des habitudes langagières de l’île où l’on réside et il est normal de les intégrer à sa pratique plutôt que chercher à les éviter. Il est naturel de s’adapter à la langue du lieu pour mieux communiquer.
En tant qu’enseignante, il est parfois difficile de faire la part des choses entre les particularités langagières de l’île et un retard ou un trouble chez un enfant de sa classe.
Quand faut-il conseiller un bilan orthophonique ?
Dans le cadre professionnel, en tant qu’enseignante ou personne en contact direct avec des enfants, une fois les spécificités langagières locales connues, il est plus facile de savoir si un enfant a besoin d’un bilan orthophonique ou pas.
Ainsi, concernant les apprentissages et comme partout, un enfant ne sera adressé chez un orthophoniste que s’il présente des difficultés avérées de langage, à l’oral ou à l’écrit.
S’il semble manquer de vocabulaire, avoir du mal à comprendre les consignes et les histoires qu’on lui raconte ou qu’il lit, qu’il a du mal à s’exprimer en faisant des phrases mal construites ou qu’il peine à raconter quelque chose de manière organisée et chronologique, un bilan orthophonique peut être utile. Il est intéressant de se renseigner auprès de la famille de l’enfant pour savoir s’il a aussi des difficultés à s’exprimer dans la langue de l’île, s’il la connaît. Si l’enfant n’a de difficultés qu’en français mais que le créole est bon, cet enfant n’aura, a priori, pas besoin d’orthophonie. Si les difficultés se retrouvent dans les deux langues, Esther pourra envoyer la famille consulter un orthophoniste.
Réel problème ou simple difficulté ?
Il est important de faire la différence entre de réelles difficultés relevant d’un bilan orthophonique et des «erreurs» qui ne sont pas considérées comme telles sur l’île.
Par exemple, un enfant (ou un adulte) qui dit «je fais le ma’a» en Polynésie française, c’est normal : il introduit un mot tahitien («ma’a» signifie «repas») dans une phrase en français, ce qui est tout à fait commun.
Un habitant de Nouvelle-Calédonie (mais aussi de Tahiti) peut dire «colgate» pour le «dentifrice» et c’est normal. À la Réunion, on parle de «gabier» pour le «distributeur de billets». Quand on arrive de métropole, on se demande bien de quoi il s’agit et pourtant ce mot est français et fait partie du vocabulaire des Réunionnais.
À la Réunion ou aux Antilles, on dit souvent «je la dis» pour «je lui dis» quand on s’adresse à une personne de sexe féminin ; ou encore, les Réunionnais «vont le docteur». Ces expressions sont normales pour ces îles, et il n’y a pas lieu de s’alarmer si un enfant de la classe s’exprime de cette façon.
En métropole, on retrouve aussi des variantes qui ont été intégrées dans le langage courant. On dit «pain au chocolat», «chocolatine» ou encore «petit pain au chocolat» en fonction des régions.
L’important pour Esther est d’observer l’enfant par rapport aux autres enfants de sa classe. A-t-il plus de difficultés que les autres dans sa compréhension ou bien ses apprentissages ? Elle pourra s’appuyer sur son expérience professionnelle et en cas de doute, elle pourra demander conseil à ses collègues.
Mais si un enfant dans la classe pose question : il ne comprend pas bien ce qu’on lui dit ou demande, il utilise les expressions communes à l’île mais a aussi son propre vocabulaire ou sa propre syntaxe, n’articule pas comme les autres, alors une orientation vers un orthophoniste sera indiquée. Ce professionnel du langage procédera à un bilan et conclura ou non à un trouble du langage.
Après quelques mois passés dans ce nouvel environnement, Esther aura repéré la plupart des particularités langagières et en aura adopté certaines. Cela l’aidera à déterminer si l’un de ses élèves aurait besoin d’un bilan orthophonique ou non. En cas de doute, mieux vaut l’envoyer chez un orthophoniste. Lui seul pourra dire s’il y a un trouble du langage ou non.