La peur de manger
Manon et Hugo ont eu un incident durant un repas, et depuis cette date leur alimentation est perturbée. Ils mangent mixé ou liquide, avec difficulté, et commencent à perdre du poids.
Manon et Hugo souffrent de ce qu’on appelle une phobie de déglutition ou encore phagophobie. Cela impacte les repas de façon disproportionnée par rapport à l’évènement initial, et cela inquiète leur entourage.
Comment se passe la déglutition (le fait d’avaler) ?
Lorsque nous mangeons, les aliments vont arriver dans notre estomac après 3 phases successives.
Tout d’abord, ce qu’on appelle la phase orale (en latin, «os» veut dire «la bouche»), où les aliments sont préparés dans la bouche avant d’être avalés. S’ils sont solides, ils vont être mastiqués et imbibés de salive ; s’ils sont liquides ou mixés, ils vont être rassemblés par la langue pour être déglutis. Cette phase orale est un temps volontaire, où nous contrôlons ce qui se passe et où nous rassemblons les aliments en un « bol alimentaire ».
Dans un deuxième temps, les aliments rassemblés sont propulsés par la langue vers l’arrière de la gorge, qu’on appelle le pharynx. Le réflexe de déglutition va alors se déclencher et le larynx, zone située à l’avant et qui mène vers la trachée puis les poumons, va se fermer. Les aliments vont alors être dirigés vers l’arrière, vers l’œsophage. Cette phase est volontaire puis automatique.
Enfin, arrive le temps œsophagien : le bol alimentaire pénètre dans l’œsophage. La gravité et la contraction des muscles de l’œsophage permettent de faire descendre ce bol jusqu’à l’estomac, ce qui est totalement automatique.
Qu’est ce qu’une fausse route ?
C’est ce qu’on appelle « avaler de travers ». Une partie des aliments ou la totalité ne va pas se diriger vers l’œsophage mais vers la trachée puis les poumons. Cela peut arriver à tout le monde, lors d’un moment d’inattention durant les repas, ou si l’on fait plusieurs choses en même temps (parler et manger par exemple) et le plus souvent c’est sans gravité. Le larynx est irrité par l’arrivée des aliments et cela déclenche une toux, qui fait ressortir les intrus. Cette toux est agaçante mais elle nous protège, et il suffit d’une goutte qui passe du mauvais côté pour enclencher une quinte interminable.
Outre l’inattention, la fausse route peut aussi être due à un manque d’efficacité des protections du larynx, qui sont normalement automatiques.
Les fausses routes sont le plus souvent bénignes, mais si elles se répètent avec des liquides, la conséquence peut être une infection pulmonaire. Si elles se produisent avec un morceau d’aliment non mastiqué, elles peuvent obstruer la trachée et entraîner une suffocation, qui peut être mortelle. C’est pour cela qu’on ne donne jamais d’aliments solides à un enfant qui ne peut pas mastiquer. Les aliments ronds qui descendraient facilement se coinceraient (cacahuète, noisette, olive, tomate cerise). C’est cette suffocation qui fait peur à Manon et Hugo, qui ont peur d’étouffer en mangeant.
Attention : Des fausses routes à répétition nécessitent une consultation chez le médecin généraliste. Elles sont plus fréquentes chez les personnes âgées et sont à surveiller.
Que s’est-il passé pour Manon et Hugo ?
Les fausses routes ont été bénignes. Manon et Hugo ont pu ressentir une gêne transitoire mais depuis cet épisode, une forte angoisse les empêche de manger normalement, de peur de « s’étouffer », de « s’étrangler » avec la nourriture. Du coup, les repas sont sources de stress, avec parfois des sensations désagréables dans la gorge : c’est serré, ça picote, ça ne « passe pas », on doit forcer pour avaler. Si quelques aliments solides sont acceptés, le plus souvent la mastication est très longue et la personne a tendance à ruminer et à ne plus savoir comment avaler.
On constate que chez des personnes déjà anxieuses et plutôt sensibles, réfléchissant beaucoup, la phobie de déglutition arrive sur le devant de la scène, alors même que la fausse route était isolée. Tout est organisé autour de cette peur d’avaler, qui peut parfois toucher également la déglutition de salive. La personne évite alors tous les aliments qui l’inquiètent et le plus souvent elle va rapidement perdre du poids car elle mange beaucoup moins que d’habitude alors même qu’elle en a envie. Elle le dit d’ailleurs : « je n’y arrive pas ». Les repas sont un calvaire pour elle et son entourage, qui hésite entre le forçage (« tu vas bien y arriver, il n’y a rien à craindre »), le marchandage (« si tu manges du pain, tu auras un yaourt ») et la peur. Les repas sociaux, à la cantine, au travail, au restaurant, chez des amis, sont sources de grande anxiété et souvent refusés, ce qui isole encore davantage et augmente l’anxiété.
On remarque que chez les enfants suivis pour ce type de difficulté, la phagophobie peut arriver dans un contexte d’angoisse de séparation déjà bien présent (peur d’être éloigné de ses proches), mais pas forcément verbalisé et pris en charge. La phobie de déglutition est alors la partie visible de l’iceberg, qui va nécessiter un travail plus profond sur les raisons du mal-être. Chez les adultes, on retrouve une forte composante anxieuse et parfois, une envie de tout contrôler. Le fait que les aliments échappent à ce contrôle dès l’arrière de la gorge est source de stress et d’interrogations.
Que doivent faire Manon et Hugo ?
Dans un premier temps, une consultation avec le médecin traitant ou le pédiatre est indispensable, sans attendre. En effet, celui-ci vérifiera l’état de santé général, les circonstances de la fausse route, l’éventuelle perte de poids. Si besoin, dans un deuxième temps, il demandera un examen chez un ORL (oto-rhino-laryngologiste), qui ira vérifier que tout fonctionne bien dans le larynx des patients et permettra d’écarter une cause physiologique à cette fausse route.
Il se peut que le médecin traitant (ou le pédiatre) oriente son patient vers différents professionnels, qui auront une approche complémentaire. On peut citer plusieurs d’entre eux : un psychologue ou un psychiatre, pour travailler sur l’anxiété de fond et l’angoisse de la fausse route, un nutritionniste ou un diététicien, un orthophoniste. Le psychologue travaillera sur le pourquoi et l’orthophoniste sur le comment, en se focalisant sur le symptôme. Le diététicien ou le nutritionniste pourra surveiller les apports alimentaires.
Comment se passe la prise en charge orthophonique en cas de phobie de déglutition ?
L’orthophoniste rencontre le patient (avec ses parents s’il s’agit d’un enfant). Il va questionner sur le développement global du patient et notamment sur tout ce qui touche à l’alimentation : y a-t-il eu des difficultés antérieures, dans la petite enfance ? Y a-t-il des fragilités alimentaires dans la famille ? Quels aliments sont acceptés et refusés ? Comment se passent les repas actuellement ? Un examen clinique et un essai alimentaire seront proposés au patient.
Dès ce premier rendez-vous qu’on appelle le bilan, l’orthophoniste va expliquer en détail comment se passe la déglutition habituellement, quels sont les mécanismes de protection lorsque l’on avale et pourquoi exceptionnellement cela ne fonctionne pas.
Par la suite, durant les séances, il pourra y avoir des exercices de détente et d’autres plus actifs qui sollicitent les muscles de la déglutition. L’orthophoniste proposera également des essais de difficulté croissante pour revenir progressivement à une alimentation normale. Il pourra aider à surveiller la courbe de poids et restera en contact avec le médecin traitant ou le pédiatre, mais aussi avec les autres professionnels afin d’évaluer la progression et d’adapter au mieux son suivi.
La phobie de déglutition représente un handicap social fort et un risque pour la santé de la personne touchée, mais c’est le plus souvent le signal d’une anxiété qui était déjà là et qui demande à être entendue. Un suivi pluridisciplinaire (médecin, psychologue, orthophoniste) est nécessaire et aidera à retrouver le plaisir de s’alimenter sereinement.