Enfant, Myriam n’a jamais aimé manger et elle se souvient avoir passé des heures à table face à une assiette froide que ses parents lui demandaient de terminer. Adulte, elle souffre des conséquences de ces troubles alimentaires qui nuisent à sa vie sociale, professionnelle et affective. Après avoir vu des reportages et lu des témoignages, elle s’interroge sur l’intérêt d’un bilan et éventuellement d’un suivi orthophonique.
Quand Myriam raconte son enfance
Après avoir vu une émission télévisée sur les troubles alimentaires sensoriels, Myriam a fait des recherches sur Internet et découvert qu’elle n’était pas la seule adulte à éprouver des difficultés à se nourrir. Plusieurs personnes ayant évoqué l’intérêt d’un bilan orthophonique, elle a osé appeler un orthophoniste. Ce n’était pas facile pour elle et elle a expliqué pourquoi lors du bilan.
« Aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais aimé manger. Je viens d’une famille aimante et où on prenait le temps de faire des repas sains. Pourtant, dès qu’approchait l’heure des repas, je cherchais par tous les moyens à me cacher ou à éviter de venir à table. Je savais que l’heure du repas approchait tout particulièrement quand je sentais les odeurs de cuisine et c’était déjà tellement insupportable pour moi. Mes parents racontent que j’ai toujours été en bonne santé. J’ai été allaitée 3 mois puis j’ai pris normalement mes biberons. C’est lors du passage aux morceaux que les difficultés ont commencées. Je repoussais la cuillère, je tournais la tête, j’avais de terribles haut-le-cœur qui me conduisaient à rejeter la moindre purée présentant un petit grain.
En grandissant je ne voulais prendre que de la soupe, des purées. Puis j’ai mangé un peu de pâtes et de la pizza, de la compote de pomme aussi.
Mes parents ont tout essayé : la contrainte, le chantage, l’ignorance, le jeu, la télé, la douceur et la patience. En vain. Je n’ai pas eu de souci de santé heureusement. En revanche, qu’est-ce que nous n’avons pas entendu eux et moi : « c’est de votre faute vous êtes trop durs / trop coulants, c’est une enfant roi, ce sont des caprices, elle simule, vous lui avez passé trop de choses, vous devriez voir un psychologue elle n’est pas normale »
Chez mes grands-parents, je ne voulais plus y aller parce qu’ils m’obligeaient à rester devant mon assiette pendant des heures. ».
Et aujourd’hui ? Quel est le quotidien de Myriam ?
Aujourd’hui Myriam mange toujours aussi peu diversifié : les mêmes aliments que dans son enfance mais très simplifiés. Les pâtes sans accompagnement, parfois avec un peu de jambon dont elle passe un temps infini à retirer la moindre trace de gras et qu’elle essuie avant. La pizza et la soupe sont toujours les mêmes, elle n’arrive pas à changer de marque.
Myriam n’accepte jamais d’invitation à déjeuner ou à dîner, sauf avec des amis très proches qui acceptent ses difficultés. Les événements familiaux ou professionnels sont un vrai casse-tête. D’ailleurs Myriam a changé de travail plusieurs fois par lassitude des réflexions des collègues quand elle sortait son repas toujours identique ou qu’elle demandait des pâtes nature au restaurant, ou pire encore quand ils lui mettaient une fourchette sous le nez pour se moquer, provoquant un réflexe nauséeux.
Chaque matin, elle se rend à sa station de tramway en faisant un détour. Elle évite ainsi la boulangerie dont émanent les odeurs de cuisson qui lui soulèvent le cœur. Elle sait aussi qu’au bout de cette rue, elle passe devant de nombreuses poubelles le mardi et le vendredi et que là encore elle doit changer de trottoir.
Ce sont de nombreuses contraintes qui ne peuvent pas toujours être anticipées. Myriam a déjà vu un psychologue et son médecin traitant a proposé des anxiolytiques. Quand Myriam a demandé une ordonnance pour faire un bilan orthophonique, ce dernier a été étonné mais a fait confiance à sa patiente qui avait lu des articles sur les troubles sensoriels. Le souci c’est que ces articles font toujours référence aux enfants mais pas aux adultes.
Or, Myriam aimerait « progresser » et aussi comprendre. Elle aimerait se rassurer enfin sur le fait qu’elle n’est pas « anormale » et que si un jour elle a des enfants, ils s’alimenteront normalement.
Quand Myriam révèle d’autres troubles sensoriels
Lors du bilan, l’orthophoniste a donc très longuement interrogé Myriam sur son histoire alimentaire, les antécédents familiaux du même type car ce n’est pas rare que l’on retrouve des difficultés sur plusieurs générations. L’orthophoniste l’a aussi amené à décrire ses réactions en fonction des textures, de la température, de la couleur, de la forme et de l’odeur (ou absence d’odeur) des aliments. Il l’a aussi interrogée sur ce qu’elle ressentait en termes sensoriels : Myriam peut-elle marcher pieds nus, comment supporte-t-elle qu’on lui touche la tête, a-t-elle des dégoûts quand elle touche certaines matières, a-t-elle trop ou pas du tout d’odorat ?
Il en ressort que la jeune femme est très sensible à tous ces points, en particulier l’odorat. Mais elle décrit bien aussi à quel point c’est compliqué pour elle de regarder les autres manger : elle est partagée entre l’envie de pouvoir goûter et la répulsion. Quand elle nettoie son évier elle porte des gants.
Que va vérifier l’orthophoniste ? Quelles conclusions en tirer ?
Hormis ce long entretien, l’orthophoniste a également observé la cavité buccale de Myriam. Elle a pu écarter certaines causes des troubles alimentaires, telles que : un articulé dentaire qui rend la mastication douloureuse, de grosses amygdales qui limitent l’espace pour avaler et donnent la nausée, un frein de langue court qui empêche de rassembler les morceaux et de « nettoyer » sa bouche.
Les échanges de l’orthophoniste n’ont enfin pas permis de mettre en évidence de problèmes de santé qui auraient pu entraîner un blocage (par exemple une hospitalisation, longue convalescence après une gastro-entérite ou une angine avec vomissements et douleurs, épisode de fausse route).
Myriam présente en revanche tous les signes de ce qui est appelé de différentes manières : trouble sensoriel de l’oralité alimentaire, syndrome de dysoralité sensorielle. Ce n’est pas le plus important. Depuis quelques années on en parle dans les magazines pédiatriques, de plus en plus de médecins ont compris que ce n’était pas qu’une question d’éducation.
Pour Myriam, ce jour-là, ce qui compte c’est d’entendre enfin reconnue sa souffrance. Savoir que tout cela ce n’est pas dans sa tête c’est important, même si elle est consciente qu’avec le temps beaucoup de peurs et d’angoisses se sont ajoutées à la réalité de son dégoût à manger.
Et maintenant que peut-on faire ?
La suite appartient essentiellement au patient. Certains se contentent de ce diagnostic mais la plupart du temps les adultes souhaitent modifier leur quotidien. Alors que peut proposer l’orthophoniste à Myriam qui, aimerait essayer de goûter et manger plus d’aliments.
Lorsqu’il existe un fort réflexe nauséeux qui donne de nombreux haut-le-cœur, il est intéressant de tenter des massages de désensibilisation. La plupart du temps cette technique est proposée aux enfants. Alors, elle est appliquée plusieurs fois par jour par les parents. Dans le cas d’un adulte, l’orthophoniste peut l’expliquer et l’enseigner au patient. C’est un travail qui se fera sur plusieurs mois et quotidiennement. Si Myriam se lance, elle devra alors pratiquer des massages dans sa bouche avec ses doigts plusieurs fois par jour. Progressivement elle ira de plus en plus loin sur son palais et ses gencives. Mais elle a besoin de l’orthophoniste pour apprendre les bons gestes et l’accompagner car les massages seuls ne seront pas suffisants. C’est un outil.
Myriam a toujours eu envie de manger un kiwi. Elle trouve que ce fruit est drôle avec ses poils et très beau quand il est coupé en tranche. Mais elle n’a même jamais osé en toucher un. Myriam et son orthophoniste se fixeront des étapes : acheter un kiwi, le toucher, le sentir. Puis le trancher en deux et l’éplucher. Si possible Myriam touchera l’intérieur du fruit avec sa langue et enfin croquera. Ce qui l’inquiète un peu se sont les petits grains noirs qu’elle craint de sentir dans sa bouche. Progressivement, la patiente se lancera de nouveaux défis.
L’orthophoniste a fait son diagnostic au regard des échanges et des observations de son patient. Dans le cas de Myriam elle a pu mettre en évidence un trouble sensoriel et écarter les causes anatomiques.
Les troubles alimentaires chez l’enfant sont fréquents. Ils sont plus rares chez l’adulte qui compense ses angoisses avec le temps. Ils sont aussi encore plus incompris. Leurs angoisses étant considérées comme irrationnelles par les autres adultes, les patients souffrent beaucoup dans leur vie sociale.
Suite à son bilan, Myriam pourra s’engager dans un long travail sensoriel avec son orthophoniste. Il ne portera pas forcément que sur des aliments (sable, légumes secs, herbe). Dans les situations les plus sévères, l’objectif n’est pas nécessairement une normalisation de l’alimentation, mais plutôt une diversification et une diminution des angoisses liées aux repas.