Benjamin, 34 ans, est avocat et discute quotidiennement avec ses associés sur Skype. Il a constaté qu’après quelques heures d’entretiens en visio, il ressentait une gêne vocale, ce qui ne lui était jamais arrivé auparavant.
Que doit-il faire ? Benjamin rencontre des difficultés liées spécifiquement au changement de son mode d’exercice. Nous allons tenter de comprendre ce qui lui arrive et comment il peut retrouver un confort vocal.
Comment fonctionne la voix ?
Notre voix est un instrument à vent. Pour produire la voix, nous utilisons l’air de nos poumons, qui va remonter dans la trachée et passer entre les cordes vocales, situées à l’horizontale au milieu du cou, dans ce qu’on appelle le larynx. Nous avons deux cordes vocales, qui se rapprochent et vibrent grâce à l’air expulsé (on les sent en posant un doigt sur la pomme d’Adam et en faisant un «aaa » qui dure quelques secondes). Le son produit est ensuite enrichi dans toutes les cavités se situant au-dessus des cordes vocales (la gorge, le nez), que l’on appelle les résonateurs. Il va être articulé pour produire la parole.
La voix est un acte corporel, que l’on pourrait comparer à un sport. Pour qu’une voix fonctionne bien, il faut que le geste phonatoire (=le geste de voix) soit équilibré et peu coûteux en énergie (pas trop de tension, souffle bien régulé) et que le larynx soit mobile à l’intérieur du cou. Il faut pour cela avoir une posture adaptée, une coordination adéquate entre le souffle et le son, une vibration correcte et une bonne utilisation de nos résonateurs.
Il faut avoir une très bonne hygiène vocale au quotidien, en particulier si l’on a une profession qui sollicite beaucoup la voix (enseignant, avocat, vendeur, chanteur, orthophoniste). La voix ne s’use pas si elle est bien utilisée, mais elle peut montrer des signes de fatigue si les conditions sont défavorables, voire même souffrir de difficultés durables s’il y a surmenage ou malmenage répété.
Pourquoi est-ce plus difficile actuellement pour Benjamin ?
Le changement de cadre professionnel s’est fait dans l’urgence, sans préparation possible. La posture que prend Benjamin en télétravail est souvent délétère. Son écran est positionné assez bas, il se penche pour le regarder et parle dans cette posture, le menton en avant ou le dos un peu voûté. Cette attitude corporelle entrave aussi sa respiration, qui est moins ample que d’ordinaire. Il commence d’ailleurs à sentir des tensions au niveau des cervicales et des trapèzes. On peut aussi signaler que la situation actuelle est anxiogène, ce qui majore des tensions qui se logent déjà facilement dans le cou, les épaules, le dos.
De plus, les conditions acoustiques sont difficiles : il y a parfois de l’écho quand Benjamin parle en visioconférence, les interlocuteurs n’attendent pas toujours pour répondre, il y a des bruits parasites ou des coupures de sons, voire du passage dans la pièce où il travaille. De fait, cela pousse Benjamin à parler plus fort, d’autant qu’il le fait sans casque et micro.
Enfin, habituellement Benjamin pense à s’hydrater au cours de la journée, ce qu’il peut oublier actuellement. Le rythme de ses repas a également changé depuis le début du confinement.
Avant de commencer ses rendez-vous en visio:
- Vérifier que son installation sera adaptée à la contrainte actuelle : siège à la bonne hauteur, pieds posés au sol, voire sur un repose pieds, écran à hauteur des yeux pour ne pas avoir le menton en avant ou le dos courbé. L’installation doit être confortable (les vêtements également), afin de laisser de la souplesse, indispensable à un bon fonctionnement vocal
- Préparer un casque et un micro, ou à défaut des écouteurs de portable. Ce paramètre est indispensable pour lui éviter de monter le volume de sa voix inutilement
- S’isoler suffisamment pour ne pas avoir à gérer en plus les bruits environnants (voisins, enfants)
- Prévoir une bouteille d’eau à proximité et commencer par quelques gargarismes pour détendre les muscles de la gorge
- Faire une petite mise en route corporelle de deux minutes: rotation du bassin (en position debout, genoux fléchis : tourner le bassin comme pour faire du hula hoop), rotation des poignets, des coudes et des épaules, mouvements doux de la tête en haut, en bas, sur les côtés, mouvements doux et lents de la mâchoire (en avant et en arrière, sur les côtés) et de la langue (tirer et rentrer la langue 3X). Tous ces mouvements vont permettre un déverrouillage des articulations et favoriser une posture adaptée. Il peut aussi faire bouger ses yeux (haut bas, droite gauche).
- Souffler tranquillement en comptant mentalement jusqu’à 10, bloquer légèrement puis relâcher ses abdominaux (et sa gorge) en laissant l’air revenir tout seul sur les 5 secondes suivantes
- Faire quelques bruits de sirènes de voiture de police avec sa voix, sur un « ou » par exemple, pour la chauffer tranquillement
Pendant les entretiens en visio
Benjamin va pouvoir ménager sa voix. Pour cela, voici quelques pistes. Il faudra :
- Veiller à ne pas augmenter le volume de la voix au fur et à mesure de la conversation (pour cela il faut s’assurer aussi de bien entendre les correspondants, sous peine de hausser le ton)
- Laisser des pauses suffisamment longues pour assimiler ce que l’interlocuteur dit, puis pour être assuré que son interlocuteur a bien compris ce que lui-même a dit, malgré les probables difficultés techniques (écho, décalage de quelques secondes entre le son et l’image, chevauchement des temps de parole)
- Parler plus lentement, en exagérant légèrement l’articulation, et en prenant plus le temps entre les phrases
- S’appuyer sur la gestuelle pour renforcer certains propos
- Profiter de ces micro-pauses pour relâcher les abdominaux en favorisant ainsi des reprises inspiratoires douces. Le diaphragme de Benjamin est probablement en tension permanente en ce moment, ce qui ne favorise pas une respiration adaptée à la voix
- Boire régulièrement afin d’éviter l’assèchement des parois de la gorge. Cela permet un meilleur fonctionnement vocal
- Faire de discrètes bascules du bassin d’avant en arrière ce qui va aider à retrouver de la verticalité et de la mobilité (indispensables pour un fonctionnement vocal optimal)
Entre deux rendez-vous ou lorsque la caméra est désactivée
Benjamin pourra se lever, faire quelques mouvements de la tête, des épaules, voire des auto-massages des trapèzes afin de soulager les éventuelles tensions corporelles qui sont néfastes pour la voix. Il pourra s’étirer lentement et en pleine conscience, et refaire l’exercice de respiration expliqué précédemment (souffler lentement, bloquer doucement puis relâcher les abdominaux en laissant l’air remplir spontanément les poumons). Tout ce qui va libérer le mouvement, redonner de la verticalité et de la mobilité est important pour la voix.
Évidemment, les éléments habituellement nuisibles pour le fonctionnement vocal sont à éviter : alcool, tabac, climatisation ou chauffage mal réglé (et air trop sec), reflux gastro-oesophagien. Une bonne hygiène alimentaire, une bonne condition physique et un sommeil régulier favorisent également une voix de qualité, tout comme les activités psycho-corporelles qui vont aider à réguler les tensions (relaxation, méditation de pleine conscience, sophrologie).
Quels sont les signes du forçage vocal ?
Benjamin a spontanément senti que sa voix était mise à rude épreuve. Plusieurs signes peuvent alerter sur un éventuel surmenage ou malmenage vocal : on a la gorge qui grattouille ou qui chatouille (et plus exactement cela gratte au milieu du cou, derrière la pomme d’Adam, c’est-à-dire à la hauteur des cordes vocales), la gorge est sèche, la voix commence à être un peu plus rauque ou grave, et l’on sent une fatigue à force de parler. Parfois, le fait de parler longtemps entraîne des tensions, principalement dans le haut du corps, voire des douleurs ou l’impression que la gorge est serrée. On peut aussi avoir une impression d’essoufflement ou de manque d’efficacité de la voix.
Le surmenage survient lorsque l’utilisation de la voix est trop intense (dans la durée, ou l’intensité = si l’on parle trop fort), et le malmenage est souvent lié à un mauvais « geste » de voix : posture inadaptée, gestion du souffle peu propice à la voix. Dans le cas de Benjamin comme pour beaucoup de télétravailleurs non préparés à ce nouveau cadre professionnel, il est important de prendre en compte les contraintes actuelles et d’aménager autant que possible l’espace de travail. Le travail corporel effectué en amont et la prise en compte d’éventuelles tensions survenues au cours de la journée devraient aider Benjamin à optimiser le fonctionnement de sa voix dans ce contexte particulier.
Si des difficultés vocales semblent s’installer durablement (voix plus grave, moins puissante, gêne au niveau de la gorge), il est nécessaire d’en parler au médecin traitant qui orientera vers un ORL (oto-rhino-laryngologiste). Celui-ci vérifiera si le larynx de Benjamin fonctionne bien, s’il n’y a pas d’irritation ou de lésion due au forçage (on peut évoquer les nodules, qui sont de petits renflements bénins mais très gênants, situés sur les cordes vocales et liés uniquement à un forçage vocal),et si besoin il prescrira une prise en charge orthophonique afin d’aider Benjamin à avoir un geste vocal équilibré.
Le télétravail, et particulièrement les rendez-vous en visioconférence entraînent des contraintes vocales importantes. Une petite préparation quotidienne et un aménagement du poste de travail devraient aider Benjamin à garder une voix de bonne qualité.
Parler avec un masque présente aussi des risques : on parle plus fort en général, on a moins d’indices visuels pour comprendre le discours de l’autre, ce qui entraîne un forçage. Mieux vaut insérer davantage de pauses, et ne pas hésiter à demander à l’interlocuteur s’il a bien compris. On peut aussi utiliser davantage de gestes. Il faut aussi penser à s’hydrater en respectant les consignes de manipulation des masques.