Passés les premiers mois de vie et les chirurgies réparatrices, la préoccupation de ses parents est désormais le développement de la parole et du langage.
L’annonce d’un diagnostic de fente lors de l’échographie est toujours source d’inquiétude pour les futurs parents. L’alimentation du bébé dans les premières semaines de vie est au premier plan de leurs préoccupations. Les consultations anténatales et péri-natales sont avant tout consacrées à la préparation des parents et à l’évaluation du développement alimentaire de leur bébé.
Puis vient le temps des chirurgies et enfin celui de nouvelles questions : mon enfant parlera-t-il normalement ? Pourra t-il être compris ? Quand devons-nous débuter les séances d’orthophonie ?
Les étapes des soins d’Inès
Inès va fêter ses 16 mois. Elle a déjà été opérée deux fois. À 6 mois, le chirurgien a réparé sa lèvre et son nez et il a refermé le voile du palais. Cette partie musculaire au fond de la bouche est très importante, notamment pour parler et bien entendre. Puis à 14 mois, on a refermé la partie osseuse du palais. Ses parents savent que vers 5 ans, Inès bénéficiera d’une autre chirurgie pour fermer sa gencive et favoriser un développement harmonieux de sa mâchoire supérieure.
Depuis quelques temps, ses parents s’interrogent sur le langage d’Inès. Leur fille est gardée par une assistante maternelle avec deux autres enfants Soline 15 mois et Tom 28 mois. Or, Inès ne dit que les mots « maman » et « nana » tandis que Soline dit également : « papa, caca, tiens, gad » (pour regarde) et le prénom de son grand frère «Léo».
Les parents d’Inès voient bien que leur fille comprend tout ce qu’ils lui disent et eux-mêmes comprennent presque toujours ses besoins. Seulement, ils se rappellent aussi que leur fils aîné Adam disait déjà «papa» au même âge.
Le chirurgien leur a dit que désormais la priorité serait consacrée au développement de la parole et leur a donné rendez-vous avec l’orthophoniste du service où Inès est suivie.
La première consultation chez l’orthophoniste
Inès parlera t-elle normalement ou sera t-elle forcément en retard ?
La première rencontre avec l’orthophoniste est très importante car les parents sont souvent inquiets et ont de nombreuses questions. D’autres, au contraire, sont confiants et se disent que ce n’est pas grave s’ils ressentent un décalage d’apprentissage car après tout, à chacun son rythme. L’important est que les parents comprennent les besoins de leur enfant. Cependant, cela ne signifie pas qu’Inès est intelligible pour tout l’entourage et encore moins pour des inconnus.
Lors de ce premier rendez-vous, l’orthophoniste souhaite avant tout s’adresser aux parents de Inès, mais elle va aussi bien observer leur enfant. Elle commence par les rassurer : tous les enfants nés avec une fente ne vont pas avoir besoin de suivi orthophonique en dehors de la consultation annuelle dans le service. Certains auront beaucoup de séances chez l’orthophoniste proche du domicile, d’autres un peu et certains enfin, seront suivis pour une toute autre raison que leur fente. Les parents d’Inès apprennent aussi que si les enfants n’ont pas nécessairement de retard, ils peuvent avoir un décalage des acquisitions. Les sons ne viennent pas dans le même ordre que pour les enfants qui ne sont pas nés avec une fente. Au début, ils vont surtout produire des M et des N et donc manger des «nano» (gâteaux) et peut-être appeler leur papa, «nana ou mama».
Pour bien parler il faut bien entendre
Cette première rencontre est importante car si elle se veut avant tout rassurante, c’est surtout l’occasion pour l’orthophoniste de faire de la prévention.
Lors de sa deuxième opération, Inès a bénéficié d’une pose d’aérateurs trans tympaniques (ATT). On parle aussi de T-Tubes, de yoyos. Ils facilitent l’aération de l’oreille et limitent les otites séro-muqueuses (OSM). Ces otites ne font pas mal, ne coulent pas et ne donnent pas de fièvre. En revanche, l’accumulation de liquide derrière le tympan limite la qualité de l’audition et donc l’acquisition de nouveaux sons. Un enfant qui n’entend pas aura plus de mal à développer son langage. Or, Inès réagissait aux bruits ou à l’appel mais elle n’entendait pas suffisamment bien lors du rendez-vous avec l’ORL. Le médecin a donc prescrit d’associer la pose des ATT à la seconde chirurgie. Depuis, Inès a d’ailleurs développé son babillage. Il n’y a pas eu d’otite ces deux derniers mois. Elle ne se touche plus l’oreille, un signe souvent associé à l’otite.
L’orthophoniste rappelle que 80 % des enfants nés avec une fente souffrent d’otites séro-muqueuses (OSM) et près de la moitié aura au moins une fois des yoyos. Ceci est lié à la réparation du voile du palais dont 3 muscles sur les 5 contribuent à aérer l’oreille. Le suivi auditif jusqu’à l’adolescence, voire plus, est donc essentiel et il leur sera régulièrement rappelé lors des consultations dans le service. Un contrôle annuel voire plus fréquent est indispensable. En entendant normalement, les jeunes enfants peuvent reproduire les sons de leurs parents et ne plus les confondre.
Expliquer et encourager le développement du langage
Afin de prévenir les inquiétudes de la famille, l’orthophoniste prend le temps d’expliquer les perspectives à moyen terme. Pour l’entrée au CP, il est préférable que tous les sons du français puissent être prononcés et identifiés, pour que l’apprentissage de la lecture ne soit pas gêné. Tous les sons ne sont pas tout de suite généralisés. Inès dira peut-être les «R» en «L» et donc «louge» (rouge), «vel» (vert) «bla» (bras). Un jour elle dira «vert», puis «rouge» et enfin «bras».
Il est inutile de faire répéter Inès si elle dit «kaka» pour «papa», il suffit de lui dire «Oui c’est papa !». Si on la fait trop répéter, Inès pourrait se renfermer en pensant décevoir ses parents, peut-être même bégayer ou développer des troubles articulatoires sévères propres aux fentes. Au contraire, il faut encourager Inès en lui parlant beaucoup et en la félicitant de ses initiatives. Il est important de communiquer cette information aussi à ses grands-parents et sa nourrice qui pourraient penser bien faire en la faisant répéter.
Nous parlons deux langues à la maison, est-ce que nous devons y renoncer?
Inès a la chance de vivre dans une famille bilingue. Sa mère parle régulièrement l’arabe comme ses grands-parents mais tous ont peur de retarder Inès en employant deux langues. L’orthophoniste les rassure et les encourage car c’est une chance et cela fait partie de la culture familiale. Elle insiste simplement sur l’importance d’être attentif à ne pas mélanger les langues. Elle propose aussi de raconter deux fois la même histoire : une fois en français et une fois en arabe.
À propos du voile du palais et de la bouche d’Inès
Lors de ce premier rendez-vous, l’orthophoniste va prendre le temps d’expliquer pourquoi la réparation du voile du palais est si importante. Elle explique donc ses rôles : alimentaire, auditif, respiratoire et articulatoire. En décrivant avec des schémas ou ses mains, en imitant certains troubles, l’orthophoniste transmet les informations le plus clairement possible pour que la famille soit bien informée.
Elle interroge aussi les parents d’Inès : ont-ils débuté le brossage des dents ? Elle les encourage à un brossage régulier dès la première dent et donne des conseils pour éviter à leur enfant les souffrances des caries et le recours à des soins. Elle insiste d’autant plus que les enfants nés avec des fentes impliquant la gencive sont plus à risque de développer des caries.
Lors de ce rendez-vous elle explique enfin, que les éventuels gestes opératoires sur les dents, les amygdales et les végétations doivent toujours être évalués avec le chirurgien qui suit Inès pour sa fente. Ils peuvent être indispensables mais aussi préjudiciables au développement de l’enfant.
Inès ne doit pas seulement parler
L’orthophoniste va observer Inès. Comment Inès utilise sa langue et sa bouche. Elle interrogera aussi précisément ses parents sur de nombreux sujets. Il s’agit de dépister d’éventuels troubles alimentaires ou du sommeil et en particulier les apnées.
Inès marche t-elle déjà ? Comment développe t-elle ses mouvements ? Il se trouve qu’elle est déjà très gourmande et curieuse, elle marche déjà avec l’aide de ses parents.
L’orthophoniste est vigilante quant à la relation entre Inès et ses parents, comment ils communiquent en l’absence de mots. Inès a montré son doudou et appelé sa maman, elle s’est tournée vers l’orthophoniste qui l’a interpellée. Elle l’a même imitée quand cette dernière a tiré la langue : ce sont des informations très rassurantes. L’orthophoniste va les souligner et en expliquer les raisons. En effet, avant même de parler il faut communiquer. L’imitation, l’attention conjointe (faire et regarder avec son parent, se tourner vers les autres), demander en montrant, sont des acquisitions indispensables au développement de la communication et du langage. Si l’orthophoniste repère des difficultés, elle peut alors évaluer les troubles de la communication, demander de faire vérifier l‘audition ou l’exploration visuelle de l’enfant.
Comment Inès sera accompagnée? Doit-elle commencer l’orthophonie au plus tôt?
En raison de sa fente, Inès sera suivie dans le service, jusqu’à 18 ans environ. Il est important de suivre sa croissance faciale et pas seulement l’évolution de sa parole et son langage. Elle aura rendez-vous chaque année, ou plus, avec chaque intervenant – chirurgien, orthophoniste, orthodontiste, ORL- et si nécessaire avec une infirmière, psychologue, pédodontiste, car le suivi est toujours pluridisciplinaire.
En attendant le prochain rendez-vous orthophonique, les parents d’Inès sont encouragés à lui apprendre à se moucher, boire à la paille, souffler, jouer. Des explications, démonstrations sont faites, des documents sont remis. Il est rappelé l’importance de l’hygiène bucco-dentaire et du suivi auditif.
Si un suivi orthophonique précoce est nécessaire – en cas d’autres troubles développementaux connus, de surdité, de troubles alimentaires par exemple – l’orthophoniste les oriente vers des collègues proches du domicile.
Inès va bien. Ses parents sont rassurés mais savent aussi que s’ils ont la moindre inquiétude avant le rendez-vous suivant, ils peuvent revenir plus tôt. Ils ont constaté aussi que tous les membres du service hospitalier communiquent bien entre eux dans l’intérêt de leur fille. L’orthophoniste aussi est rassuré : les conditions aux développements de la motricité et du langage d’Inès sont présentes. Elle communique très bien.
Ce premier rendez-vous est long et Inès s’est finalement endormie dans les bras de son papa. Ses parents vont prendre leur prochain rendez-vous orthophonique dans le service en sachant ce qu’ils peuvent faire au quotidien pour stimuler la parole. Ils vont aussi acheter la première brosse et vérifier qu’ils ont bien un contrôle ORL déjà planifié.