Accompagner l’alimentation de l’enfant n’est pas facile. Souvent, tout se passe sans encombre mais parfois cela bloque. Y a-t-il des étapes particulières à connaître ? Et à quel moment le goût se met-il en place chez l’enfant ? Pourquoi certains enfants mangent sans difficulté et d’autres montrent des goûts plus sélectifs ? Toutes ces questions nécessitent des explications.
Le goût chez le fœtus
Pendant la grossesse, le visage et la bouche se forment pendant les deux premiers mois. À trois mois de grossesse, la langue du foetus sort et entre dans la bouche pour aller chercher le liquide dans lequel il baigne (le liquide amniotique). À la naissance, cela va permettre au bébé une bouche efficace pour téter. Pendant la suite de la grossesse, le fœtus va entraîner ses mouvements de langue. Cela développe la motricité de sa bouche. Mais les sens vont également s’éveiller. En effet, le liquide amniotique prend le goût de ce que la mère mange. Le fœtus est dans un bain de goûts et de sensations qui va le préparer à sa première tétée.
La première tétée
À la naissance, si tout va bien, le bébé né à terme peut s’alimenter immédiatement. Pour trouver sa source alimentaire, bébé fait des mouvements du corps et de la tête non contrôlés appelés réflexes.
Les mamans qui choisissent la tétée d’accueil donnent le premier lait appelé colostrum. Il est très proche du liquide amniotique en texture et en goût. On dit que le colostrum aide le nouveau-né à garder des repères sensoriels. À 3 jours de vie, la composition du lait change. C’est la montée de lait. Le bébé est prêt à faire évoluer ses repères et va augmenter peu à peu les quantités bues. Comme le liquide amniotique, le goût du lait maternel varie selon l’alimentation de la maman. L’éveil au goût se poursuit donc après la grossesse.
Lorsque la maman choisit un lait artificiel, le goût est toujours le même. Il est important de se dire qu’il vaut mieux donner un biberon avec plaisir que de mener un allaitement non choisi. L’éveil au goût passe avant tout par le plaisir du moment de la tétée, qu’elle soit au biberon ou au sein. La diversification va prendre la suite et éveiller la bouche de bébé à de nouveaux goûts.
Le passage à la cuillère
Lorsque les parents proposent d’autres aliments que le lait, c’est la diversification alimentaire. Le répertoire alimentaire se remplit au fur et à mesure des expériences de l’enfant. Il crée peu à peu son panel alimentaire.
Il est recommandé de proposer la première cuillère au bébé entre 4 et 6 mois. On commence à proposer quelques cuillères de purée puis on augmente la quantité au fil des jours. Le lait reste alors l’aliment principal mais on commence à proposer divers légumes puis des fruits en compotes.
Vers 8-9 mois, des protéines hachées vont être ajoutées aux purées. Les purées vont être de moins en moins lisses, elles deviennent plus granuleuses.
Entre 10 et 12 mois, on commence à proposer du pain et des biscuits fondants de type boudoir. Ces aliments vont entraîner la langue à aller sur les côtés. C’est un premier pas vers la mastication qui se développe à partir de l’âge de 2 ans. Les morceaux vont donc stimuler la motricité de la langue du bébé. Les morceaux vont aussi habituer la bouche à apprivoiser de nouvelles textures et de nouveaux goûts. Parfois, une miette mal placée ou un nouveau goût peut entraîner un haut-le-cœur. Ce n’est pas grave, c’est simplement la sensibilité de la bouche s’entraîne.
Certains parents font le choix de suivre une approche appelée la Diversification Menée par l’Enfant (DME). Cette technique préconise de ne pas proposer de purée mais des aliments en morceaux comme des légumes bien cuits. On attend les 6 mois de l’enfant, âge où l’enfant a une position assise plus stable. Il attrape seul les aliments et les porte à sa bouche. On propose donc au bébé des aliments non transformés en purée et on le laisse s’alimenter en prenant lui-même les morceaux, sous surveillance.
En diversification classique, le bébé mange des morceaux progressivement. Ils sont d’abord intégrés aux purées en aliments mixés, puis hachés, puis coupés grossièrement et enfin des morceaux tendres sont proposés entre 12 et 15 mois. À 2 ans, il n’est plus nécessaire de transformer la texture des aliments. L’enfant mange comme les autres membres de la famille exceptés les aliments trop durs. La motricité de la bouche est mature vers 7-8 ans. L’enfant va encore affiner sa motricité et découvrir de nouveaux goûts. Pendant cette période, il est important d’être vigilant aux aliments petits et arrondis à risque d’étouffement (cacahuètes, bonbons).
Qu’on choisisse la DME ou une diversification classique, l’essentiel est de faire évoluer les textures tout en restant dans le plaisir.
Le refus des nouveaux aliments
À partir de 2 ans, certains enfants refusent de goûter un aliment nouveau. C’est une période normale du développement alimentaire de l’enfant appelée la néophobie alimentaire. Certains enfants la traversent avec plus ou moins de facilité.
La néophobie est très présente pendant les années de maternelle de l’enfant. Elle stagne en début d’école primaire pour s’apaiser en fin de CM2. Pendant cette période, l’enfant est attiré par les aliments très nourrissants (féculents, viande). Il a tendance à rejeter les légumes et les fruits. L’ambiance à table peut devenir pesante.
En cas de néophobie simple, l’enfant goûte après un peu de négociation. Cela permet de maintenir des repas sereins à la maison. Par contre, la période de néophobie peut révéler des difficultés qui étaient déjà présentes avant l’âge de 2 ans. Les fragilités sont parfois en lien avec une sensibilité importante face aux nouveautés alimentaires.
La sensibilité de l’enfant
La sensibilité de l’enfant est composée de 2 parties, l’héritage sensoriel familial et les expériences sensorielles faites dès la vie utérine.
Dans le cas d’un enfant qui aurait une bouche très sensible aux morceaux, il n’est pas rare qu’un des 2 parents montre également une hypersensibilité. Cette hypersensibilité peut perturber le développement des textures et des goûts.
Grâce au système sensoriel hérité de ses parents, le bébé vit de multiples situations pour enrichir ses sens. Il va ainsi mettre des jouets à la bouche ce qui va lui permettre de s’habituer à avoir différentes textures sur la langue, les lèvres. Il va découvrir également des goûts, des textures,des températures différentes pendant les repas.
Si la sensibilité de l’enfant n’a pas de fragilité, les découvertes se font avec plaisir.
Si l’enfant montre des fragilités sensorielles, le bébé met moins de choses à la bouche : les objets du quotidien et les aliments. Les découvertes sont moins simples. Le panel alimentaire risque d’être peu varié et de gêner la vie sociale. Un panel réduit peut être source de stress pour les parents. L’enfant peut être en difficulté lorsqu’il doit manger en dehors de la maison (cantine, restaurant).
Que faire si mon enfant ne prend pas de plaisir ?
En cas de difficultés ponctuelles, le plus important est de donner envie à l’enfant de manger. Il faut donc éviter les ordres répétés tels que « mange », « goûte » mais plutôt être dans une attitude de découverte des aliments. On peut décrire la couleur des aliments, les associer dans l’assiette, les manipuler. On peut faire des jeux pour aider à approcher l’aliment de la bouche dans le plaisir partagé entre l’adulte et l’enfant. Faire « toc toc » sur la joue, les lèvres, la langue. Proposer à l’enfant de cacher l’aliment dans la bouche puis le recracher. Autoriser l’enfant à cracher, c’est lui permettre de mettre dans la bouche sans être obligé d’avaler. Mettre en bouche et avaler sont deux étapes différentes. C’est déjà un effort pour l’enfant de mettre en bouche. Pouvoir cracher simplifie les essais pour l’enfant. Il découvre plus d’aliments avec moins de stress car il n’est pas dans l’obligation d’avaler.
On évite à tout prix le forçage qui apporte des sensations négatives que l’enfant fuit. On explore, on goûte, on mange avec l’enfant pour qu’il observe puis qu’il imite l’adulte.
Toutes les situations où l’adulte cuisine avec l’enfant créent des moments chaleureux avec les aliments. Cela favorise l’envie. L’enfant et l’adulte trempent le doigt dans une sauce, croquent un morceau sans obligation, juste pour le plaisir. Toutes ces actions entraînent la salivation, première étape de la digestion. L’enfant qui cuisine fait baisser son stress face aux aliments car l’aliment cuisiné n’est plus inconnu. Il goûte plus facilement car il connaît ce qui compose la recette.
En cas de difficultés répétées, il faut se rappeler que le moment du repas doit être un moment de plaisir. Si les repas deviennent pesants, angoissants et que l’enfant montre des refus répétés, il est conseillé de prendre rendez-vous avec le médecin traitant qui orientera vers un orthophoniste.
Si les repas sont difficiles à la maison mais aussi dans d’autres contextes alimentaires (chez les grands-parents, à la crèche, à la cantine), il est conseillé de consulter également.
Si le panel alimentaire a du mal à s’élargir ou s’il se réduit, il est également conseillé de consulter son médecin pour envisager un bilan orthophonique.
L’orthophoniste fait un bilan d’alimentation afin de comprendre la situation. Si un diagnostic de trouble alimentaire pédiatrique est posé ou en cas de suspicion de trouble, des séances de rééducation sont proposées afin de prendre en soin l’enfant et d’accompagner ses parents.
Le goût vient aux enfants par le plaisir avant tout. Dans ses étapes alimentaires, l’enfant doit composer avec la sensibilité héritée de ses parents. Dès la vie utérine, le fœtus active ses sens dans le liquide amniotique et notamment le goût. Il poursuit ses découvertes avec les premières tétées puis au moment de la diversification alimentaire. Si la sensibilité n’est pas fragile et que l’environnement propose une alimentation variée, l’enfant développe un panel alimentaire riche. Il peut passer par une période normale de néophobie alimentaire qui évolue favorablement s’il n’y a pas de fragilités sensorielles.
Si la sensibilité est fragile, l’enfant est réticent à goûter des aliments nouveaux. Dans ce cas, le panel alimentaire est peu varié et gêne la vie sociale.
Il est important de connaître les étapes du développement alimentaire afin d’accompagner l’enfant dans ses découvertes toujours dans le plaisir.