Christophe est un jeune retraité. Il y a une semaine, il a appris qu’il avait un cancer situé sur les deux cordes vocales. Il a rencontré son chirurgien ORL (oto-rhino-laryngologiste), qui lui a expliqué qu’il devrait apprendre à parler différemment après l’opération et qu’il aurait du mal à manger. Christophe est étonné, pourquoi aura-t-il du mal à avaler alors que ce sont ses cordes vocales qui sont touchées ?
Les aliments passent-ils sur les cordes vocales quand ils descendent vers l’estomac ?
Au milieu du cou, en haut de la trachée, se trouve le larynx. C’est un organe très important : c’est le passage par lequel on respire, on mange et on parle.
Lorsque l’on parle, les cordes vocales, qui sont des bandes horizontales derrière la pomme d’Adam, se rapprochent et vibrent pour produire un son.
Quand on mange, après avoir avalé notre bouchée, la nourriture se retrouve face à deux voies possible : soit le chemin de la trachée qui amène aux poumons, soit le chemin de l’œsophage qui amène à l’estomac. Les aliments ne passent donc pas sur les cordes vocales mais par un deuxième chemin.
Pour protéger la trachée lors de la déglutition (de salive, de liquide, de solide), nous avons plusieurs mécanismes qui fonctionnent de façon automatique, plus de 2000 fois par jour. Heureusement que nous n’avons pas besoin de réfléchir à chaque bouchée ! Parmi ces systèmes de protection, on peut en citer deux qu’il est facile de situer :
- il y a un cartilage en forme de petite raquette, l’épiglotte, qui se situe au milieu du cou, à l’avant des cordes vocales : ce cartilage va boucher la trachée
- en même temps, les cordes vocales se ferment. Cela permet à la nourriture d’aller directement au bon endroit, c’est-à-dire dans l’œsophage.
Quand les aliments empruntent le mauvais chemin, ils vont vers la trachée et les poumons, c’est ce qu’on appelle une fausse route : on « avale de travers ». Le plus souvent, cela fait tousser et c’est sans conséquence. Mais cela peut parfois être très dangereux si de gros aliments se coincent ou qu’il y a de petites pénétrations fréquentes vers les poumons.
Dans le cas de Christophe, le chirurgien va enlever les cordes vocales et va aussi modifier le fonctionnement de l’épiglotte, qui ne servira plus de véritable protection lors de la déglutition.
Alors Christophe ne pourra plus jamais manger par la bouche ?
Pendant l’opération, un petit tuyau va être posé directement dans l’estomac de Christophe. Ce petit tuyau, appelé sonde gastrique, permettra d’apporter directement la nourriture au bon endroit, sans passer par la zone opérée. Durant les premiers jours, toute l’alimentation de Christophe passera donc par cette sonde, sous forme de solutions spécialement conçues pour cela. L’hydratation sera aussi assurée par la sonde. Dans certains cas, on utilise une sonde naso-gastrique : le tuyau passe par le nez, la gorge, puis l’œsophage, pour apporter les nutriments directement dans l’estomac.
Christophe n’aura pas la possibilité de manger ou de boire par la bouche après son opération.
Au bout de quelques jours, en fonction de sa cicatrisation, il commencera une rééducation orthophonique pour apprendre à son corps à diriger les aliments vers le bon chemin, en protégeant la trachée et les poumons.
Comment apprend-on ce nouveau fonctionnement ?
Habituellement, le larynx est une sorte de sphincter, c’est-à-dire un endroit qui peut se resserrer et s’ouvrir. L’orthophoniste va apprendre à Christophe, grâce à des exercices spécifiques, à créer un nouveau sphincter, destiné à protéger la trachée lors de la déglutition, que ce soit durant les repas mais aussi quand Christophe avale sa salive. Au départ, les exercices sont réalisés sans alimentation, puis Christophe va faire des essais très progressifs, avec des aliments introduits dans un ordre précis. Son orthophoniste le guidera au fur et à mesure de sa cicatrisation et de son évolution.
Après l’opération de Christophe, les premiers essais alimentaires se feront avec des textures mixées, en faisant attention à sa posture, à la taille des cuillérées. Les débuts sont assez difficiles, il faut bien se concentrer et prendre son temps. La reprise de l’alimentation se passe souvent après 2 voire 3 semaines d’hospitalisation, parfois plus tôt si la cicatrisation le permet. Au départ, Christophe mangera de petites quantités d’alimentation mixée par la bouche, et complètera ses repas grâce à la sonde.
Et après le retour à la maison ?
Il est indispensable de continuer la rééducation orthophonique une fois qu’on rentre à la maison. L’orthophoniste libéral est là pour proposer à son patient de nouvelles textures alimentaires, en fonction de ses possibilités, afin de pouvoir manger intégralement par la bouche. Les morceaux puis les liquides sont essayés en séance puis à la maison. Le plus souvent, l’alimentation se normalise en quelques semaines.
Y a-t-il des conséquences à long terme ?
Le plus souvent, après quelques semaines ou quelques mois, un patient opéré des cordes vocales et de l’épiglotte mange comme les membres de son entourage. Cependant, il sera toute sa vie un peu plus sensible aux fausses routes : s’il parle en mangeant, s’il fait moins attention, il aura tendance à tousser, à être inconfortable : avaler de travers est plus fréquent après ce type de chirurgie. La plupart des patients opérés comme Christophe mangent de tout, mais certains éliminent quelques aliments qu’ils trouvent plus difficiles à avaler comme les fruits très juteux ou la nourriture qui s’éparpille dans la gorge.
Et la voix ?
Christophe va perdre ses deux cordes vocales lors de l’opération. Cependant, en même temps qu’il travaillera sa déglutition, il va commencer à faire vibrer d’autres structures à l’aide de son orthophoniste. Sa voix sera différente mais on pourra tout à fait le comprendre. Produire la voix et manger, ça se passe au même endroit dans la gorge. Quand on travaille une fonction, on aide l’autre à se réparer.
La chirurgie des cancers du larynx entraîne des conséquences qui peuvent toucher la voix et/ou la déglutition. Une rééducation orthophonique est souvent engagée dès l’hospitalisation, afin de pouvoir à nouveau manger et parler. Selon la localisation de la tumeur et sa taille, l’opération ne sera pas la même et les séquelles à long terme également.