Pendant cette période, il a subi plusieurs gestes médicaux nécessaires, mais parfois douloureux. Il a notamment été alimenté par une sonde nasogastrique : un petit tuyau souple glissé dans le nez jusqu’à l’estomac pour lui donner le lait dont il avait besoin. On lui a aussi fait des ponctions veineuses, c’est-à-dire des piqûres pour prélever du sang. Aujourd’hui, Léon a neuf mois. Ses parents s’inquiètent. Il refuse de manger. Il détourne la tête quand on approche la cuillère, pleure parfois, recrache certains aliments systématiquement. Rien ne semble lui faire envie. Après plusieurs consultations, un pédiatre leur propose une piste encore peu explorée : et si Léon associait l’alimentation à la douleur ? Il leur conseille de consulter un orthophoniste, car certains troubles de l’oralité peuvent être liés à un vécu médical précoce douloureux.
Comprendre la douleur précoce chez les nourrissons
La douleur chez les tout-petits ne se voit pas toujours, mais elle existe bel et bien. Un bébé ne peut pas dire « j’ai mal », et pourtant, il peut souffrir. C’est le cas notamment des nourrissons prématurés ou hospitalisés dès la naissance. Pour les soigner, les médecins doivent souvent effectuer des gestes délicats mais douloureux comme introduire un cathéter pour administrer des médicaments. Ces soins sont indispensables, bien sûr. Ils sauvent la vie. Mais ils ne sont pas sans conséquences, comme l’environnement de l’hôpital lui-même. Avec ses lumières, ses bruits, les manipulations fréquentes, tout peut aussi être source d’inconfort ou de stress pour le bébé.
Aujourd’hui, on sait que ces premières douleurs laissent une trace, même si l’enfant ne s’en souvient pas avec des mots. Le corps, lui, s’en souvient. On parle de mémoire sensorielle : une mémoire du ressenti, profondément ancrée, qui influence parfois le comportement longtemps après. Cette mémoire peut ressurgir quand le bébé vit une situation qui lui rappelle ce qu’il a ressenti : certaines odeurs, certaines positions, ou même certaines sensations dans la bouche. Plus tard, un geste anodin comme approcher une cuillère peut raviver, sans que l’enfant en ait conscience, un souvenir corporel de douleur. Manger devient alors une source d’angoisse. C’est peut-être ce qui se passe pour Léon : il anticipe la douleur, se crispe, rejette les aliments. Ce n’est pas un caprice, mais une réaction profonde, ancrée dans ses premiers jours de vie.
Les troubles alimentaires liés à la douleur
Les troubles alimentaires chez les nourrissons peuvent prendre plusieurs formes : refus de manger, difficulté à téter ou à avaler ou encore un rejet systématique de certains aliments. Quand cela arrive, les parents sont souvent perdus, inquiets, et ne savent plus quoi faire ni vers qui se tourner.
Ce qu’il faut savoir, c’est que ces troubles alimentaires peuvent être une réponse directe à des douleurs précoces. Par exemple, un bébé qui a souffert lors de l’alimentation via une sonde nasogastrique peut associer la sensation de quelque chose entrant dans sa bouche à une expérience douloureuse. Cette association négative peut persister, même lorsque la douleur physique a disparu, rendant chaque repas un moment d’angoisse pour l’enfant, sans même qu’il sache pourquoi. Ce n’est pas volontaire, ce n’est pas un caprice : c’est une réaction de protection, enracinée dans son histoire corporelle.
Le rôle essentiel de l’orthophoniste
C’est à ce moment-là que l’orthophoniste entre dans la vie de l’enfant. Souvent connu pour son travail sur le langage, ce professionnel de santé joue aussi un rôle fondamental dans l’accompagnement des troubles alimentaires du nourrisson, surtout lorsqu’ils sont liés à un vécu douloureux.
L’orthophoniste ne travaille pas seul et s’appuie sur l’observation fine du bébé, mais aussi sur les parents, qui sont les meilleurs connaisseurs de leur enfant. Ensemble, ils forment une équipe. Les parents sont des partenaires essentiels dans le soin. Ils apportent des informations précieuses sur les habitudes, les réactions, les antécédents médicaux. L’orthophoniste les guide pour décrypter les signes parfois subtils de douleur ou de rejet : grimaces, crispations, pleurs, recul face à la cuillère… Chaque comportement est un indice.
Chez un bébé comme Léon, il s’agit d’évaluer comment il réagit à certaines textures, certains goûts ou objets comme le biberon ou la cuillère. À partir de là, l’orthophoniste construit un accompagnement sur mesure. Le but ? Réconcilier l’enfant avec l’alimentation. Cela passe souvent par de toutes petites étapes : toucher la cuillère sans pleurer, goûter une purée douce sans stress, associer le repas à un moment agréable. Des techniques douces peuvent aussi être utilisées, comme des massages autour de la bouche ou des jeux sensoriels.
Et surtout, les parents ne sont jamais laissés seuls. L’orthophoniste les accompagne pas à pas, leur donne des repères, des conseils simples à appliquer au quotidien. Ensemble, ils aident l’enfant à retrouver le plaisir de manger, à son rythme, sans douleur ni angoisse.
La rééducation orthophonique : une approche sur mesure
Dans le cas de Léon, l’orthophoniste n’a pas seulement travaillé avec l’enfant et a aussi travaillé main dans la main avec ses parents. Ce partenariat, c’est une vraie collaboration. Cela veut dire que les parents sont pleinement impliqués dans le soin, qu’ils sont écoutés, soutenus, et qu’ils deviennent eux aussi des acteurs clés pour aider leur enfant à aller mieux.
Avec l’aide de l’orthophoniste, ils ont mis en place un cadre rassurant et prévisible autour des repas. L’objectif : redonner confiance à Léon, étape par étape. Chaque séance d’orthophonie était pensée comme un moment de jeu, de découverte et de plaisir – surtout pas comme un moment où il fallait « réussir à manger ». L’orthophoniste a proposé d’abord des jeux sensoriels : toucher différentes textures avec les mains, découvrir les aliments sans les porter à la bouche, explorer à son rythme.
Des massages très doux autour de la bouche ont aussi été proposés pour détendre les muscles et créer des sensations agréables. Ces gestes simples ont permis à Léon de se sentir plus à l’aise. Et petit à petit, il a commencé à goûter. Un jour, il a accepté une bouchée. Puis une autre. Puis un petit repas entier.
Prise en soin du bébé et de ses parents
Pour les parents de Léon, les repas étaient devenus une source constante de stress. Chaque tentative pour nourrir leur enfant s’accompagnait d’angoisse, d’incompréhension et parfois d’un profond découragement. Ils sentaient bien que quelque chose clochait, mais ne savaient plus comment s’y prendre. Face à un bébé qui pleure, qui refuse, qui recule devant chaque cuillère, le doute s’installe, la culpabilité aussi. Ils n’avaient plus toujours la force de voir les petits progrès de Léon.
L’orthophoniste les a aidés à repérer ces signes positifs : un regard curieux, une bouche qui s’ouvre, un geste vers une cuillère… En leur montrant à quel moment Léon réagissait bien et avec quel aliment ou quelle approche, les parents ont pu reproduire ces moments chez eux, avec plus de confiance. Leurs propres initiatives ont été valorisées, encouragées. Ce soutien les a aidés à reprendre confiance en eux, à retrouver du plaisir dans les repas et à redevenir les figures de sécurité dont Léon avait besoin pour avancer. En expliquant le lien possible entre les douleurs précoces et les troubles de l’oralité, ce professionnel a permis aux parents de comprendre les réactions de leur enfant autrement. Léon ne faisait pas de caprices. Il réagissait à une mémoire corporelle douloureuse. Ce changement de regard a été essentiel.
Accompagnés pas à pas, les parents ont appris à repérer les signaux positifs, à ajuster les repas, à créer un climat plus serein. Loin des injonctions à « faire manger à tout prix », ils ont retrouvé un rôle actif et soutenant. Les progrès de Léon ont été visibles : il a recommencé à explorer les aliments, à goûter, à manger. Mais surtout, la tension autour des repas a diminué. Sans ce soutien, les troubles auraient pu s’aggraver, avec un risque de malnutrition, de fatigue émotionnelle pour toute la famille, et de blocages durables.
Pourquoi consulter un orthophoniste sans attendre ?
L’histoire de Léon montre à quel point l’intervention précoce d’un orthophoniste peut non seulement aider l’enfant, mais aussi apaiser et guider ses parents dans un moment où tout vacille. Elle montre aussi combien le chemin peut être long. Lorsqu’il a été orienté vers un orthophoniste, Léon avait neuf mois. Depuis sa naissance prématurée, les repas étaient devenus une épreuve : chaque cuillère provoquait cris, refus, pleurs. Ses parents, épuisés, avaient tout essayé. En vain.
La première étape du suivi a été de comprendre. Comprendre d’où venait ce rejet, ce blocage, ces réactions disproportionnées face à l’alimentation. L’orthophoniste a pris le temps de recueillir l’histoire de Léon, d’observer ses gestes, ses mimiques, son rapport au corps, à la bouche, aux textures. Ce professionnel de santé a surtout écouté les parents, leurs doutes, leurs inquiétudes, leurs observations du quotidien. Ensemble, ils ont commencé un accompagnement en douceur.
Pendant plusieurs semaines, l’objectif n’était pas que Léon mange à tout prix mais qu’il retrouve confiance. Les premières séances ont consisté à réconcilier Léon avec les sensations autour de sa bouche : massages très doux, jeux tactiles, textures à explorer du bout des doigts. Puis, petit à petit, les aliments ont été réintroduits, sans contrainte. Après deux mois, il acceptait de goûter. Après quatre mois, les repas devenaient moins tendus. Il a fallu du temps, de la patience, et un vrai travail d’équipe entre les parents et l’orthophoniste.
Consulter un orthophoniste sans attendre, ce n’est pas un dernier recours : c’est un choix préventif, protecteur. Plus la prise en soin est précoce, plus il est possible d’agir en profondeur, avant que les troubles ne s’installent durablement. Car réapprendre à manger, quand la douleur s’en est mêlée, demande du temps. Un bébé qui apprend tôt à se nourrir de manière confortable devient un enfant plus serein, libre d’explorer, de grandir, de se développer sans peur. C’est cela, le véritable enjeu.
Les premiers mois de vie sont une période fondatrice. C’est à ce moment-là que le bébé découvre, ressent, mémorise. Si la douleur s’invite trop tôt dans cette exploration, elle peut laisser des traces profondes, notamment dans la relation à l’alimentation. Refus de la cuillère, pleurs au moment des repas, blocages persistants… ces signes, souvent minimisés, ne sont pourtant jamais anodins.
L’orthophoniste est un professionnel formé pour repérer ces troubles précoces, en comprendre l’origine et accompagner l’enfant, avec ses parents, vers une alimentation apaisée. En intervenant dès les premiers signes, il est possible d’éviter que les difficultés ne s’installent et de redonner au repas sa place naturelle : celle d’un moment de plaisir, de partage, de croissance.
Consulter un orthophoniste tôt, c’est offrir à son enfant toutes les chances de grandir en confiance, libre de ses peurs et de ses douleurs passées. Une prévention essentielle, pour un développement serein et harmonieux.
CONSEILS EN ATTENDANT LE BILAN ORTHOPHONIQUE
- Créer un environnement calme et détendu : Assurez-vous que les repas se déroulent dans un environnement sans distractions (comme la télévision ou les jouets). Un cadre apaisant peut aider votre bébé à se concentrer sur la nourriture, en parlant avec votre bébé avec une voix douce et encourageante, en chantant des comptines…
- Introduire les nouvelles textures progressivement : Si votre bébé refuse certaines textures, pensez à les introduire petit à petit pour éviter les changements brusques. Par exemple, mélangez une petite quantité de la nouvelle texture avec une texture qu’il aime déjà, puis augmentez progressivement la quantité.
- Respecter les signaux de faim et de satiété : Ne forcez jamais votre bébé à manger. Chaque enfant a son propre rythme et sait, dès les premiers mois, exprimer s’il a faim… ou s’il a assez mangé. Respecter ces signaux, c’est l’aider à construire une relation saine et sereine avec la nourriture. À l’inverse, le forcer peut provoquer du stress et, avec le temps, un rejet de l’alimentation.
- Faire preuve de patience et de persévérance : Lorsqu’un aliment est refusé, cela ne veut pas dire qu’il le sera toujours. Il est important de proposer régulièrement, sans forcer, et sous différentes formes : en petits morceaux, mixé, cuit différemment ou présenté dans un autre contexte. Avec le temps, l’enfant peut changer d’avis. Ce qui compte, c’est de garder un climat détendu et positif autour des repas.
- Donner l’exemple : Les bébés apprennent en observant. Partager le même repas qu’eux, goûter devant eux avec plaisir, leur montrer que vous appréciez les aliments, c’est une façon efficace de les encourager à essayer. Voir un parent manger avec envie peut éveiller leur curiosité et leur donner envie de faire pareil.
Ces conseils peuvent aider à rendre les repas plus agréables et moins stressants pour vous et votre bébé. Cependant, ils ne remplaceront jamais une consultation chez un pédiatre, un médecin généraliste ou un orthophoniste pour obtenir des conseils personnalisés et adaptés à votre situation.
Bibliographie
www.pediadol.org
www.sfetd-douleur.org
https://www.actionenfance.org/actualites/comprendre-le-trouble-alimentaire-pediatrique/
http://oralite-alimentaire.fr/
En-route-pour-une-alimentation-epanouie.pdf (apo-g.fr)
https://www.inforalite.fr/