Anouk a 2 ans ½. Ses parents sont inquiets, car dès que le repas arrive, elle pleure, pousse l’assiette, refuse de manger. L’ambiance à table est pénible. Ils ont peur qu’elle ait des carences et qu’elle soit constipée. Comment doivent-ils gérer les pleurs et les refus ?

Dans le développement alimentaire de l’enfant, il y a plusieurs phases

Dès la naissance, le bébé se nourrit de lait maternel ou maternisé (en poudre), qui est donné habituellement au sein ou au biberon. La succion du lait lui permet de couvrir ses besoins nutritionnels.

Après ses 4 mois, commence ce qu’on appelle la diversification alimentaire : bébé va découvrir un nouvel outil, la cuillère, mais aussi de nouveaux goûts et de nouvelles textures. Ses parents lui proposent en effet des purées, des compotes, auxquelles vont s’ajouter, petit à petit, d’autres aliments comme la viande hachée, le poisson mixé, les laitages à la cuillère. En général, c’est le pédiatre, le médecin généraliste ou l’infirmière de la PMI qui guide les parents dans les différentes étapes de la diversification alimentaire. De nombreux supports d’informations existent, à commencer par les indications données dans le carnet de santé. Le bébé passe de quelques cuillerées de purée ou compote par repas à des portions plus importantes, même si le lait reste son aliment principal.

Aux alentours de 8 mois, les textures proposées deviennent plus grumeleuses, on présente des petits morceaux mous, des biscuits adaptés aux goûts et aux besoins du bébé. Certains bébés ont d’ailleurs du mal à effectuer cette transition, car ils peuvent être gênés par les textures plus épaisses ou irrégulières.

La progression alimentaire se poursuit au fil des mois, avec généralement de belles découvertes et un panel alimentaire (ensemble des aliments consommés par un individu) qui augmente tranquillement, pour se rapprocher de ce que mangent papa et maman.

Jusqu’à 2 ans, Anouk mangeait de tout. Alors pourquoi est-elle devenue si difficile ?

Plus de 80 % des enfants passent par une phase appelée néophobie alimentaire : ils deviennent alors plus sélectifs. Eux qui étaient si curieux, refusent maintenant d’approcher les nouveaux petits plats et ils boudent aussi certains aliments qu’ils aimaient auparavant. Fini l’âge d’or où tout était mangé avec plaisir, pour la plus grande fierté de papa et maman. Anouk en est là : devant une assiette de haricots verts, elle se met à pleurer et elle refuse de manger son repas si on lui apporte quelque chose qu’elle ne connaît pas.

La néophobie est une phase normale du développement alimentaire de l’enfant. Elle est généralement assez forte entre 2 et 5 ans, mais peut aller de 18 mois à 10 ans pour certains enfants, et être plus ou moins sévère. Certains petits refusent uniquement ce qui est vert, d’autres sélectionnent une grande partie des aliments, ce qui rend les repas très compliqués.
La néophobie alimentaire survient justement à l’âge où l’enfant commence à dire non, à s’individualiser. Il veut faire ses propres choix -pas uniquement alimentaires- et peut s’opposer assez systématiquement à ce qu’on lui propose. Il refuse le jouet réclamé bruyamment deux minutes auparavant, ne veut plus dire bonjour, veut s’habiller seul… puis avec un parent. Bref, il se construit en marquant cette opposition, ce qui peut être fatiguant et agaçant pour les parents.

Que faut-il faire pour les repas d’Anouk ? Doit-on se fâcher ? Forcer ? Renoncer ? S’inquiéter ?

Rien de tout cela : la plupart du temps, cette phase de néophobie passe toute seule.
En matière de découverte alimentaire, rien ne vaut la modélisation : cela veut dire que les parents et les autres personnes qui vivent avec l’enfant lui servent de modèle. Si les plats sont présentés régulièrement à la table familiale, il sera plus facile de s’en approcher sans crainte, quand on voit quel plaisir ils peuvent procurer. Parfois, certains parents souhaitent que leur enfant mange des légumes, mais eux-mêmes n’en consomment jamais. Cela rend la tâche plus compliquée.

La clé est de continuer à présenter régulièrement les aliments qui sont refusés, sans se fâcher et avec persévérance. Avant de demander à l’enfant d’en manger une grande quantité, on peut faire d’autres propositions : manipuler l’aliment en le cuisinant, en faisant une belle présentation tous ensemble (il y a plein d’idées de «fun food» sur instagram), faire un bisou au petit morceau de légume, le lécher, le croquer sans l’avaler, le tremper dans la sauce. Autant d’étapes qui vont aider l’enfant néophobe à se familiariser de façon ludique avec l’aliment qui fait si peur. Si l’on exige tout de suite qu’Anouk mange une assiette d’épinards -ce qu’elle faisait aisément avant ses 2 ans-, le repas risque de devenir un combat qui énerve et attriste tout le monde. En revanche, ses parents peuvent l’inviter à en sentir une petite cuillérée, à la mettre sur le bout de la langue, et c’est déjà bien pour l’instant.

Certains moments sont plus propices aux découvertes : l’apéritif permet de croquer des légumes en bâtonnets en les trempant dans la sauce, le goûter est un moment de détente où l’on peut proposer des fruits, une promenade au marché est l’opportunité de découvrir un nouveau fromage, le week-end chez Papy et Mamie apporte un changement d’habitudes alimentaires.

Il est également possible d’améliorer la diversité des repas d’Anouk en proposant un aliment copain juste après l’aliment qui fait peur et de la féliciter avec ce qu’on appelle des renforçateurs : «dès que tu auras croqué ce morceau de tarte, tu pourras mettre un autocollant de félicitations». Cette négociation fonctionne très bien, même chez les enfants plus grands, si tant est que la demande soit modérée : un petit morceau d’aliment «étrange», et pas directement une grosse quantité.

Et les repas à l’extérieur ?

La plupart du temps, les enfants néophobes, même s’ils gardent une certaine rigidité, sont plus souples et ouverts à l’extérieur du domicile familial. C’est le cas d’Anouk : quand elle va chez ses grands-parents, elle goûte les concombres et les radis qu’elle refuse à la maison. C’est normal et c’est bon signe. Elle a moins besoin de s’opposer à Papy et Mamie qu’à papa et maman. À la crèche, elle peut également croquer des fruits contre lesquels elle se rebelle habituellement.
À la crèche comme à la cantine, les enfants sont incités à goûter en petite quantité et sont souvent aidés par le groupe. On a envie de faire comme les copains !

Quand faut-il s’inquiéter ?

Une néophobie simple n’entraîne pas de retentissement sur la taille et le poids de l’enfant et ne met pas sa santé en danger. Si la restriction s’accentue, que la rigidité augmente, que les repas sont toujours un combat, alors il faut en parler au médecin traitant ou au pédiatre dans un premier temps. Il donnera des conseils si la situation perdure. Il pourra orienter vers un orthophoniste pour effectuer un bilan et peut-être un suivi.

L’orthophoniste est un professionnel de santé habilité à explorer et accompagner les difficultés alimentaires. Son rôle est de comprendre pourquoi les repas sont compliqués et de proposer une rééducation si nécessaire. Les séances se passent souvent en présence des parents, car ce sont eux qui nourrissent leur enfant au quotidien.

La néophobie n’est pas un trouble alimentaire pédiatrique mais une phase du développement de l’enfant. Celui-ci devient plus sélectif, il refuse de goûter de nouveaux aliments et devient difficile. La plupart du temps, aucun accompagnement spécifique n’est nécessaire, mais lorsque les repas sont très compliqués voire ingérables, on peut demander l’avis d’un professionnel de santé pour aider à sortir de cette phase délicate.