Josy a 85 ans. Depuis quelques années, elle a de plus en plus de mal à s’occuper de ses affaires quotidiennes. Ses enfants l’aident beaucoup, surtout pour gérer les papiers. Même si elle vit seule, elle se débrouille encore à la maison. C’est un confort pour elle et son entourage. Elle souhaite rester le plus longtemps possible chez elle et prendre les décisions qui la concernent. Mais en mai dernier, Josy a été hospitalisée quelques semaines pour un accident vasculaire cérébral (AVC). Depuis, elle ne semble pas avoir conscience des problèmes que cet AVC a causés. Comment son entourage peut l’aider ? Que faire ?

L’anosognosie, c’est quoi ?

Depuis son AVC, Josy a des difficultés. Elle a des problèmes de vision, elle n’arrive plus à bien utiliser sa main gauche et elle a du mal à comprendre les choses compliquées. Les professionnels de santé qui s’occupent d’elle ont aussi remarqué qu’elle a du mal à se rendre compte de son propre état de santé. Elle ne mesure pas bien les conséquences des problèmes qui sont apparus après son AVC. Le neurologue a parlé d’anosognosie.

L’anosognosie est un symptôme d’une atteinte du cerveau. La personne ne peut plus bien évaluer ses propres difficultés. L’anosognosie affecte la conscience de son état.  Le patient ne prend pas en compte son déficit sensoriel ou moteur. Par exemple, il ne perçoit pas la moitié de son corps (hémiasomatognosie), ou bien ne voit pas qu’il a du mal à bouger et ne tient pas compte de la paralysie d’un côté de son corps (hémiplégie). Cela peut aussi affecter sa conscience d’un déficit du langage ou de ses capacités intellectuelles (cognitives).

L’anosognosie peut être associée à plusieurs types d’atteintes neurologiques qui touchent le cerveau, comme les traumatismes crâniens (chute ou accident de la voie publique), les AVC et les maladies neurodégénératives comme les démences. Il existe plusieurs degrés d’anosognosie.

Comment se comporte une personne anosognosique ?

Les personnes anosognosiques réagissent différemment. Souvent, elles nient qu’elles ont des problèmes. Par exemple, quelqu’un qui est paralysé d’un côté peut essayer de se lever comme si de rien n’était. Quand le langage est touché également (notamment dans l’aphasie dite sensorielle ou de Wernicke), la personne ne se rend pas compte que ses paroles sont très déformées et peut montrer une grande frustration de ne pas être comprise. La personne n’a pas conscience de ses difficultés et ne comprend pas pourquoi elle doit rester à l’hôpital. Cela peut mener à des comportements agressifs ou inadaptés, comme une tentative de fugue. L’entourage peut être très bouleversé par ces changements et ne sait pas comment se comporter. Pour être juste dans son accompagnement, il est crucial d’avoir bien identifié que la personne ne fait pas exprès. L’entourage et le personnel soignant ne doivent pas avoir peur de se répéter. Il est important de conserver une attitude qui reste bienveillante pour qu’elle soit constructive.

Avec le temps, en faisant des expériences comme tomber, de ne pas pouvoir prendre sa fourchette, ou échouer en rééducation, la personne commence à comprendre qu’elle a des limites et à reconnaître ses déficits, et l’anosognosie diminue. Cependant, le plus souvent, les conséquences pratiques des atteintes restent mal mesurées. C’est ce qu’on appelle l’anosodiaphorie. Par exemple, Josy admet à présent qu’elle est paralysée du côté gauche et ne peut pas se servir de son bras gauche (surtout lorsqu’on le lui rappelle), mais elle dit à sa petite fille qu’elle va reprendre le tricot dans l’après-midi pour finir le pull qu’elle voulait lui offrir. 

Souvent la personne ne semble pas souffrir moralement des atteintes. Pourtant il faut prendre en compte le fait que la personne se sent incomprise et ignorée dans ses demandes. En effet, comme Josy ne se rend pas compte de ses difficultés, elle demande souvent à sortir de l’hôpital et pense pouvoir reprendre sa vie d’avant. Elle souffre donc de ne pas être entendue. Le rôle de l’entourage est dans ce cas primordial pour accompagner la personne avec bienveillance et si possible préparer le retour à domicile. 

Les professionnels de santé, dont l’orthophoniste, vont jouer un rôle important dans le suivi du patient et de son entourage. L’information donnée sur le patient et sur ses séquelles permet aux proches d’ajuster leurs attitudes, de les rassurer et de mieux comprendre l’origine des troubles. L’orthophoniste propose des mises en situation qui visent à faire régresser l’anosognosie. Petit à petit, la personne peut être amenée à exprimer ses choix pour sa santé et son avenir grâce à une meilleure compréhension de son état. Les préférences du patient doivent être favorisées le plus possible malgré une conscience partielle des difficultés.

Autonomie ou dépendance ?

Très fréquemment, une personne âgée veut rester autonome le plus possible, et refuse les aides pour ses activités quotidiennes (par exemple pour le ménage, sa toilette ou des soins). Elle n’accepte pas d’en avoir besoin, parfois en désaccord avec ses proches. Elle se sent vieillir et souhaite conserver son pouvoir de décision et son indépendance le plus longtemps possible. Avec l’âge, accepter que l’on devient moins autonome peut être difficile.

Le cheminement vers le grand âge se fait de façon progressive pour chacun, et accepter son vieillissement et la perte de ses propres capacités n’est pas simple. Les capacités d’autonomie sont différentes de la notion de dépendance. On parle d’autonomie pour évoquer les capacités d’évaluer ses besoins, de juger et de prendre des décisions pour soi-même. La dépendance, c’est quand on a besoin d’aide pour faire certaines choses concrètes (se déplacer ou se préparer à manger par exemple).

Il est important de faire la différence entre quelqu’un qui refuse de l’aide parce qu’il veut rester indépendant et quelqu’un qui est anosognosique. Dans le cas de l’anosognosie, ces choix sont plus compliqués parce que la personne mesure mal son état de santé et ses besoins. Il faut donc l’accompagner dans cette prise de conscience et dans les étapes d’acceptation des aides qui lui sont devenues nécessaires. 

Quel est le rôle de l’orthophoniste ?

Le vieillissement n’est pas une pathologie mais il peut rendre les choses plus compliquées. Les personnes présentant une anosognosie ont cependant des déficits consécutifs à une atteinte neurologique. Elles ont une conscience fausse de leurs capacités. C’est la rééducation qui donnera les meilleures chances pour que l’anosognosie soit limitée ou diminue. L’objectif est que l’anosognosie ne mette pas le patient en danger et qu’une coopération avec lui soit possible. Une relation de confiance avec le professionnel de santé est primordiale.

L’orthophoniste contribue à identifier, évaluer et lutter contre ces symptômes invalidants. Le décalage entre l’estimation des capacités par la personne et les tests proposés par les professionnels de santé sont des indicateurs performants de l’anosognosie. Les séances d’orthophonie prendront en compte cette anosognosie et y travailleront.  L’orthophoniste est une aide précieuse pour aider Josy et son entourage à mesurer ses capacités à exprimer ses choix (autonomie). 

L’entourage doit, quand il le peut, se montrer patient et attentif aux besoins de Josy. Sa petite-fille est compréhensive, ses enfants l’accompagnent et sont guidés par les professionnels de santé, dont l’orthophoniste qui intervient à présent au domicile de Josy. Un accompagnement pluriprofessionnel permet de prendre les mesures nécessaires pour sécuriser son maintien à domicile en fonction de son degré de dépendance et pour éviter une potentielle mise en danger, comme les chutes. 

L’anosognosie est une conséquence d’une lésion au cerveau (trouble neurologique). Elle rend difficile pour la personne de comprendre ses propres difficultés. Elle affecte la personne et son entourage, et est souvent très difficile à vivre. Le patient ne comprend pas bien les enjeux des soins que l’entourage et le monde médical veulent lui apporter. Pour l’entourage, les risques que peut prendre son proche chaque jour peuvent être inquiétants. Une rééducation permet d’accompagner la personne et son entourage.