Pour lui, s’intégrer dans un groupe est difficile, même pour ses activités favorites.
Il se sent décalé par rapport à ses camarades. Il a l’impression qu’il faut toujours faire des efforts quand il est avec les autres. Il est anxieux quand il doit parler à des personnes qu’il connaît moins.
Dans ce cas, c’est peut-être la pragmatique du langage qui est altérée.
La pragmatique, qu’est-ce que c’est ?
« Pragma », en grec, ça veut dire agir. La pragmatique, c’est la compétence à utiliser un langage adapté à la situation quand on communique avec quelqu’un.
Être pragmatique, c’est prendre en compte
les informations qui concernent la situation :
-des informations sur la personne avec qui on parle, comme son âge ou le genre de la personne, son rôle (professeur, camarade de classe, conducteur du bus), si on la connaît ou non.
-l’endroit où se passe la conversation (en cours ? sur un terrain de sport ?), si elle se fait en groupe ou en tête à tête.
les informations qui concernent le contexte de communication :
-les informations verbales : ce qui est dit, l’intonation utilisée (premier degré ou bien ironie), le niveau de vocabulaire utilisé
-les informations non verbales (le ton de la voix, la posture de l’interlocuteur, ses mimiques)
Communiquer, c’est avoir une intention et établir une relation avec quelqu’un. Avoir une bonne pragmatique permet de comprendre ce que l’autre ressent ou attend de l’échange : rigoler, séduire, exiger, dire comment on se sent. Une bonne pragmatique permet de s’adapter à l’autre et à la situation.
La pragmatique est une compétence très élaborée et indispensable à l’inclusion sociale. Elle est utile dans tous les contextes, même dans le contexte scolaire.
Elle se développe très tôt, bien avant de rentrer à la maternelle. Elle finit de se développer à la fin de l’adolescence.
La pragmatique à chaque âge
Selon les âges, les attentes sont différentes. À l’école primaire, la pragmatique s’exerce avec les copains dans le jeu. Mais dès le collège, les habiletés pragmatiques s’entraînent en situation de conversation.
La conversation comporte des règles expliquées (ne pas couper la parole) ou implicites (savoir répondre vite, utiliser des « vannes » et le sarcasme). Il faut également utiliser les tours de paroles pour que chacun ait pu exprimer ce qu’il veut.
Les compétences de langage
Dès l’adolescence, la conversation s’appuie sur des compétences de langage élaboré : le jeune adapte son niveau de vocabulaire à son interlocuteur. Il doit pouvoir comprendre les implicites et les sous entendus. Il peut également organiser ses idées pour raconter une histoire et se faire comprendre.
Si un adolescent a un trouble du langage oral, le vocabulaire et la structure des phrases peuvent être également réduites. On peut aussi avoir un déficit de compréhension avec les différents sens d’un même mot (la polysémie). Ces difficultés peuvent aussi entraîner un trouble de la pragmatique.
La conversation s’appuie aussi sur des compétences intellectuelles plus « générales », en particulier l’attention, la vitesse de traitement de l’information, la mémorisation.
Si un ado a un trouble déficitaire de l’attention, il peut aussi présenter un trouble de la pragmatique. Il ne peut pas gérer la conversation et toutes ses subtilités car il ne peut pas à la fois être attentif, gérer l’information, mémoriser les informations entendues et vues pendant l’échange verbal.
La cognition sociale
La cognition sociale correspond à la compréhension des règles sociales ou de rôles sociaux.
Parfois, ces rôles sont implicites (règles « non écrites » par exemple concernant les vêtements, l’endroit où on s’assoie dans la classe), à la capacité à ne prendre des indices importants au moment de la conversation (par exemple la distance entre les interlocuteurs, la posture).
La cognition sociale, c’est aussi la compréhension des émotions et des intentions de l’autre (ce qu’on appelle la théorie de l’esprit).
La conversation s’appuie sur des compétences de cognition sociale.
Si l’ado présente un trouble du spectre de l’autisme, il aura sans doute aussi un trouble de la pragmatique, même si son niveau de langage est très bon.
Est-ce que je dois m’inquiéter ?
La pragmatique se développe sur un temps très long. Il peut donc seulement y avoir un léger décalage dû, par exemple, de maturité affective.
Si l’ado de 12 ans préfère jouer au foot ou avec des cartes Pokemon plutôt que de rentrer dans les jeux sociaux de la conversation, ce n’est pas pathologique.
Pourtant, il ne faut pas minimiser les difficultés, car si elles durent, les conséquences peuvent être dangereuses pour l’équilibre de la personne.
Un trouble de la pragmatique du langage peut entraîner
- un isolement du jeune
- une fragilisation face au groupe
- un risque d’être harcelé
- une phobie scolaire
L’ado peut présenter une candeur sociale. Cette naïveté peut en faire la cible d’escroqueries ou d’abus qu’il est difficile pour eux de détecter et de dénoncer.
Quand consulter ?
Si les aptitudes en conversation semblent mauvaises avec ses camarades alors qu’elles sont normales avec des adultes ou si l’ado a du mal à faire valoir sa personnalité dans un groupe de copains, s’il commence à refuser les relations sociales, ou que vous vous rendez compte qu’il se fait souvent « avoir », alors il devient nécessaire de consulter.
Qui consulter pour améliorer la pragmatique ?
L’orthophoniste est le professionnel de santé expert dans le langage et la communication. Il va réaliser un bilan du langage oral et de pragmatique du langage pour vérifier si l’ado ne présente pas un trouble du neurodéveloppement qui pourrait entraîner un trouble de la pragmatique.
Comment travailler la pragmatique à la maison ?
En famille, il est important avant tout d’indiquer à l’ado toutes les fois où il se comporte de manière adaptée (par exemple « c’est très gentil d’avoir consolé ta copine d’avoir perdu son chat »).
Cela vous permettra, sans juger ni faire la morale, de pouvoir lui faire repérer les comportements de communication adaptés et ceux qui ne sont pas adaptés, chez lui et chez les autres.
L’orthophoniste pourra reprendre ensuite au cabinet un entraînement sur différents points :
- ce qui peut être dit, ce qui ne doit pas être dit.
- la manière d’entrer en relation avec quelqu’un, la manière de finir une conversation
- la posture en communication (à quelle distance on se met face aux gens avec qui on parle, comment on se tourne vers eux, comment on peut les regarder)
- identifier les émotions et savoir y répondre (savoir dire un mot de consolation plutôt que de se taire et de paraître indifférent ou de rire de façon inadaptée à un mauvaise nouvelle), y compris sur des pièges comme pleurer de joie ou de rire, rire alors qu’on n’en a pas envie (« rire jaune »)
La pragmatique dans le quotidien
Entraîner la conversation est une bonne habitude. Il est intéressant de multiplier les situations de conversations, dans des contextes variés et sur des sujets qui intéressent l’ado (du comportement d’un personnage dans un film ou une série aux résultats de la ligue des champions). L’adulte peut expliquer ce qu’il fait et pourquoi il le fait. Donner le bon modèle permet à l’ado de comprendre les codes pour mieux les appliquer.
Ensuite, on peut échanger sur les personnes que l’on a rencontrées, comment s’est passée la journée, chacun à tour de rôle. Ce dernier sujet est toujours le plus compliqué, car il peut générer des tensions ou être faiblement motivant.
On peut aider l’ado si on choisit de raconter seulement ce qui était nouveau par rapport à l’habitude, ou ce qui nous a touché. En quoi cela a été votre moment favori ou le pire de la journée.
Si le jeune est isolé, il n’est pas utile de l’obliger à sortir avec des copains ou à rester dans un groupe. Par contre, il est intéressant de lui proposer des moments privilégiés avec un ou deux copains/copines dans un environnement connu, sur des activités appréciées de l’ado : piscine, cinéma, jeux vidéos suivi d’un temps de goûter où la conversation entre les jeunes pourra se faire naturellement et avec plaisir. En favorisant ces rencontres, l’ado pourra prendre l’habitude de la communication avec ses pairs dans de nombreux contextes, sans anxiété.
Dans le cas de difficulté en pragmatique, l’essentiel à la maison est de soutenir le plaisir de l’interaction sociale en conversation, en lui montrant le plaisir que vous avez à échanger avec lui sur ce qu’il aime et le motive, et combien ces échanges peuvent être porteurs de moments positifs. Au cabinet, l’orthophoniste entraîne chez l’ado plus spécifiquement la compréhension des implicites dans le langage, les éléments de cognition sociale, les fonctions du langage que l’ado utilise peu (par exemple savoir ce qu’il est important de dire et ce qui ne l’est pas, savoir refuser, organiser et donner son opinion, savoir transmettre ses émotions)
Avoir un trouble de la pragmatique rend les relations plus difficiles dans le quotidien et peut apporter de vraies difficultés à s’intégrer en société mais on peut le travailler. Il est important de prévenir l’entourage qui peut voir ce type de difficulté comme un comportement provocateur ou un manque d’éducation.