Emmanuelle et Jean-Noël s’interrogent : leur fille Mado a monté un groupe de rock metal avec ses copains, qui viennent répéter dans la cave de leur maison. Leur groupe s’appelle « The ultimate shout » et c’est Mado qui chante, ou plutôt qui crie, tellement fort, tellement rauque, qu’ils ont peur pour sa voix. Ils aimeraient la convaincre de prendre moins de risques.
Pourquoi on crie ?
La voix est d’abord une intention, elle porte nos émotions. Au téléphone, le son de la voix indique l’état émotionnel de l’interlocuteur ou même la personnalité, selon qu’elle soit discrète ou très affirmée. Le cri a une dimension particulière : il est le premier son que nous avons produit à la naissance avec nos cordes vocales. Le cri demande un effort singulier qui traduit des situations extrêmes de danger, d’angoisse ou de colère, mais aussi de joie et de surprise. Il pourra traduire le triomphe ou la défaite, le plaisir ou le supplice. Il y a aussi des situations professionnelles avec les vendeurs « à la criée » qui nous présentent leurs articles « dernier cri ». Parmi toutes ces situations différentes, nous pouvons reconnaître l’origine émotionnelle du cri par ses seules caractéristiques acoustiques.
Enfin, le cri a une fonction de défouloir. Le son est volontairement sale. Il traduit ce qui ne devrait pas être entendu et remet en cause un certain ordre moral. Il est possible que pour certains, le cri ait une fonction de mise en danger comme certains autres comportements adolescents. Cette dimension se retrouve dans le nom choisis par de nombreux groupes de métal comme « Suicidal Tendancies », « Anorexia Nervosa » ou encore « Megadeath ».
Comment on crie ?
Portée par notre émotion, notre respiration devient plus ample et plus forte pour envoyer plus d’air et augmenter l’intensité de ce que nous voulons exprimer. La pression respiratoire qui parvient au niveau de la glotte est plus importante. La difficulté est de trouver une façon de soulager les cordes vocales d’un effort trop important. Cette pression trop forte peut produire des lésions de toutes sortes.
La technique principale est d’exercer une pression équivalente au-dessus des cordes vocales pour leur permettre de fonctionner en équilibre, sans avoir à fournir d’effort trop important. C’est la même technique qu’utilisent les chanteurs d’opéra, qu’ils appellent la «couverture» du son. La technique de la couverture leur permet de pouvoir hurler sur scène pendant des heures. Cette technique utilise les résonateurs au-dessus des cordes vocales. Le pharynx, le voile du palais, la bouche et la langue vont faire résonner le son. Ils agissent et contrôlent comme la caisse d’une guitare.
C’est quoi le cri du rock métal ?
Même s’il doit utiliser la même technique de « couverture » des sons, le cri du rock métal n’est pas le chant lyrique. On appelle ce chant : le chant saturé. Il faut alors apprendre à répartir la pression sur tout le larynx. Le métalleux doit apprendre une technique complémentaire. Il utilise deux muqueuses au dessus des cordes vocales (les plis vestibulaires) qui n’interviennent pas dans la parole normale. Les chants mongols ou tibétains ou encore sardes pratique cette technique depuis longtemps.
Les cordes vocales et les plis vestibulaires produisent un double son, qui correspond à la vibration différente des deux vibrateurs : il y a le son des cordes vocales et au-dessus le son créée par les plis vestibulaires. Les propriétés physiques des plis vestibulaires, leur plus grande épaisseur et leur faible raideur, font qu’elles vibrent plus lentement, et produisent donc un son plus grave. Cette gravité du son correspond justement à l’esthétique recherchée, celle de « salir » le son des cordes en lui ajoutant une basse dramatique.
C’est difficile ? C’est dangereux ?
La difficulté est alors de coordonner les deux vibrateurs, comme deux danseurs sur la même chorégraphie. La désynchronisation des deux produira un déséquilibre de l’ensemble qui sera inefficace et même dangereux. À la recherche de cet équilibre, le chanteur peut ainsi augmenter encore la pression sur les cordes vocales. Le principe du bon fonctionnement physiologique est justement de les soulager. Il faudra donc toujours être attentif à ses sensations. La production des sons ne doit pas se faire au prix d’un effort sur les cordes vocales qui installerait le cercle vicieux du forçage vocal : de plus en plus d’effort pour de moins en moins d’efficacité jusqu’à se faire mal.
Comment faire ?
Il y a donc deux techniques à mettre en place en même temps : la couverture du son et la double vibration. Comme pour toute technique, le métalleux peut les chercher et les trouver de lui-même intuitivement, en se guidant à la fois avec le résultat obtenu et les sensations d’une voix efficace. Mais un spécialiste peut aussi les guider, les aider à reconnaître les signes d’un forçage vocal. Pour la technique de la couverture, il faudra chercher la résonance, comment enrichir le son en plaçant sa voix et soulager son larynx. Pour la double vibration, le plus simple sera de partir d’une note tenue. Sur cette note, il faudra partir d’un son clair, par les seules cordes vocales et y ajouter la deuxième vibration des plis vestibulaires sans mettre en jeu des tensions supplémentaires. Dès que le chanteur sera à l’aise sur une note pour ajouter le son saturé, il pourra alors travailler sur d’autres notes, puis sur des tierces, puis progressivement sur le chant qu’il veut produire.
Y’a-t-il plusieurs cris dans le métal ?
En jouant sur le resserrement des résonateurs et du larynx, le chanteur de métal peut produire différentes couleurs de sons, avec des noms précis: le yellscream, le death metal ou le hardcore en voix de tête. Mais il peut jouer aussi sur la résonance, plutôt à l’avant du visage pour produire le black métal. Les deux techniques restent indispensables aussi bien pour produire un son fonctionnel que pour imprimer une esthétique propre au genre.
Il faut rester vigilant sur des signes de forçage vocal de Mado : la toux, l’aphonie et sur les sensations de douleur pour déterminer si sa technique est en place ou si elle a besoin de l’aide d’un spécialiste. Il faudra alors lui faire comprendre que son désir de chant demande une expertise. C’est la même chose pour la conduite automobile : s’il s’agit de conduire une voiture de course, il ne faut pas sortir de la piste au premier virage. L’utilisation d’un logiciel permettant de visualiser la richesse harmonique de la voix pour la technique de la couverture et la double vibration, peut être très utile pour l’observation et la sensation du geste vocal. Les spécialistes peuvent être des professeurs de chant ou des orthophonistes qui maîtrisent la technique du chant saturé. Pour une consultation chez l’orthophoniste, il faut d’abord consulter son médecin généraliste qui lui donnera une ordonnance.