Emma a accouché il y a 6 semaines d’une petite Lilou. Elle perd des objets, ne trouve plus certains mots, oublie ce qu’on vient de lui dire. Elle s’inquiète car elle est responsable marketing dans la téléphonie et elle doit reprendre le travail dans quelques semaines. Comment envisager sereinement son retour dans l’entreprise ? Doit-elle consulter quelqu’un ?
Emma ressent un changement dans son fonctionnement cognitif. Les fonctions cognitives sont des capacités de notre cerveau. Elles englobent plusieurs domaines : le langage, l’attention, la mémoire, le raisonnement et elles sont dépendantes de notre état de santé général mais aussi de certains événements médicaux et émotionnels de notre vie.
Durant la grossesse et après l’accouchement, de nombreuses femmes se plaignent de réfléchir moins vite, d’oublier plus de choses, d’avoir du mal à formuler leurs idées. Est-ce un fonctionnement normal ? Peut-on améliorer les choses ? Est-ce une simple impression ou cela peut-il se vérifier ?
Les difficultés de mémoire durant la grossesse, mythe ou réalité ?
Plusieurs études scientifiques mettent en évidence une modification du volume de la matière grise du cerveau. On retrouve cette variation au moment de la grossesse. On ne connaît pas exactement les mécanismes de cette transformation mais les zones du cerveau qui se modifient touchent surtout les régions liées aux aptitudes sociales : celles qui permettent de décoder les émotions, les humeurs. Le cerveau s’adapte ainsi aux bouleversements auxquels il doit faire face. Cette modification dure environ deux ans. Cela n’affecte pas l’intelligence et permet de créer de nouvelles connections, celles qui vont servir, en particulier à renforcer l’instinct maternel. Ces changements ont lieu à plusieurs moments de la vie, comme à l’adolescence.
Cependant, malgré cette modification anatomique, lorsque l’on fait passer des tests cognitifs (de mémoire, d’attention, de langage), les résultats des futures mamans ne sont pas inférieurs à ceux des femmes qui ne sont pas enceintes. Les femmes enceintes ont donc en définitive les mêmes résultats globaux que les autres, mais elles mettent plus de temps à démarrer la tâche par exemple. Il y a donc une vraie modification de la structure du cerveau pendant la grossesse, mais cela ne se retrouve pas dans les résultats des tests cognitifs.
Ces résultats rassurants n’empêchent pas les femmes enceintes ou les jeunes accouchées de trouver que leur mémoire fonctionne moins bien et de s’en inquiéter.
Pourquoi les jeunes mamans ont-elles des difficultés de langage, de mémoire, d’attention ?
Lors de la grossesse, la femme fait face à d’importants changements hormonaux. Les hormones sont des molécules qui transmettent des messages chimiques dans tout le corps. Elles participent au fonctionnement de nombreux organes mais ont aussi des conséquences sur l’humeur, la croissance, le sommeil. On connaît déjà des fluctuations hormonales durant le cycle féminin. De manière plus importante, une grossesse et un accouchement provoquent des bouleversements hormonaux qui vont avoir des répercussions sur le tonus, la fatigue, les émotions de la jeune maman.
De plus, avec la naissance du bébé, les parents ont de nombreux sujets de préoccupation et d’attention. Ils vont apprendre à vivre avec un nouveau petit être qui sollicite leur pleine présence, qui a besoin de soins, de temps et surtout d’amour. Leur attention et leur disponibilité lors des tâches de la vie quotidienne vont être impactées par la naissance. Là où ils effectuaient les travaux de la vie quotidienne (tâches matérielles ou administratives) plutôt rapidement, en étant concentrés, ils vont devoir s’habituer à être interrompus, à penser à plusieurs choses à la fois. Les soins du bébé prennent une grande place dans la vie de tous les jours, les sujets d’inquiétude surgissent (a-t-il bien mangé ? pourquoi pleure-t-il ? vais-je trouver une place en crèche ?) et l’attention des adultes va se retrouver divisée entre les besoins du bébé et les autres activités ordinaires. Il peut en résulter des oublis ou une impression de ne plus réussir à s’organiser, à planifier, à anticiper. Tous les repères sont brouillés et les sollicitations sont nombreuses.
Lors d’une naissance, les jeunes parents expérimentent aussi (le plus souvent) une grande fatigue. Pour la maman, c’est la fatigue liée à la grossesse, à l’accouchement, aux changements hormonaux dans un premier temps. Pour les deux parents, il s’agit en plus de la fatigue liée aux nuits écourtées. Engranger des informations, réfléchir posément, programmer des activités, tout cela est plus compliqué lorsqu’on est fatigué, nous en avons tous fait l’expérience. Le corps a besoin de repos pour que le cerveau fonctionne bien, et dans les premières semaines de la vie de bébé, on sait bien que le sommeil est morcelé. Certains bébés font leurs nuits dès les premières semaines ou dorment en journée à des moments où la maman peut faire la sieste mais ce n’est pas la majorité. Si ce n’est pas le premier enfant de la famille, il y a aussi déjà fort à faire et le rythme des jours et des nuits est dense, avec peu de temps de récupération.
Les émotions ont aussi une place à jouer dans la mémorisation. Retenir des informations et les restituer demande des capacités d’attention qui peuvent être chamboulées par les montagnes russes des émotions après un accouchement. Il est donc habituel de se trouver en difficulté dans des tâches de mémorisation ou tout simplement dans la vie quotidienne. Et les petits oublis (où ai-je mis mes clés ? à quelle heure a-t-elle bu ? ai-je bien fermé la porte ?) deviennent agaçants et parfois inquiétants.
Les bouleversements hormonaux, la fatigue, les émotions se conjuguent donc pour diminuer les capacités à se concentrer ou à engranger de nouvelles informations de manière efficace.
Que faire dans ce cas ?
La première chose à savoir, c’est que c’est normal et très courant. Cela permet de diminuer l’inquiétude.
Une bonne hygiène de vie est nécessaire pour permettre au corps et au cerveau de bien fonctionner. En aménageant au mieux le planning en fonction des besoins du bébé, il faut veiller à manger équilibré et de façon régulière, à se ménager des plages de sommeil réparateur. En cas de besoin, ne pas hésiter à se faire aider par un proche (parent, ami, voisin) ou par un professionnel qui pourra soulager une part de la fatigue en prenant le relais auprès du bébé, en allant faire quelques courses, en prenant soin de la nouvelle maman. Cet aménagement paraît parfois très difficile à mettre en œuvre mais c’est un aspect important pour la santé de la jeune maman.
Certaines mamans font aussi face à ce qu’on appelle le baby-blues, qui est un trouble de l’humeur consécutif à la naissance. La maman se sent anxieuse, triste, déprimée. En parler au médecin traitant, à la sage-femme ou à la PMI est nécessaire car un accompagnement existe. Dans les troubles de l’humeur, les difficultés cognitives sont très fréquentes. Elles diminuent quand l’humeur s’améliore.
À mesure que bébé grandit, on pourra reprendre des activités qui stimulent le corps (promenade, activité sportive) et l’esprit (lecture, cinéma, musique…) en cherchant davantage à se faire plaisir qu’à retrouver ses performances antérieures. Pour cela il faudra du temps.
Si l’inquiétude persiste, le médecin traitant peut proposer de faire un bilan auprès de professionnels spécialisés dans l’accompagnement des difficultés cognitives. Il peut s’agir d’un orthophoniste qui est le spécialiste des difficultés de langage et de communication, ou d’un neuropsychologue qui peut évaluer également les fonctions cognitives.
Comment se passe l’accompagnement dans le cas de troubles cognitifs ?
Dans un premier temps le professionnel fait un bilan (il faut une ordonnance s’il s’agit d’un orthophoniste, et les soins seront remboursés). Ce premier rendez-vous commence par un entretien, parfois assez long, où la patiente va raconter ses difficultés, son parcours personnel et professionnel, ses habitudes de vie. Cela permet de lui proposer, dans un deuxième temps, des tests étalonnés (qu’on a fait passer à des milliers de personnes) pour évaluer de manière objective la dégradation de son langage, de sa mémoire, de son attention. Les tests sont le plus souvent analysés en fonction de l’âge de la patiente et de son niveau d’études afin d’être au plus près de ses besoins.
Si les tests révèlent des difficultés significatives, une remédiation cognitive peut avoir lieu. Lors de séances au cabinet du professionnel et parfois aussi avec un entraînement à la maison, on va travailler la mémoire, l’attention, la planification, le langage. Le cerveau fonctionne comme le reste du corps : on va le remettre progressivement en route, comme on le ferait avec une activité sportive que l’on n’a pas pratiquée depuis longtemps, jusqu’à la récupération des performances antérieures.
Les pertes de mémoire, les difficultés de langage ou de concentration sont constatées par de nombreuses femmes enceintes ou jeunes accouchées. Elles dépendent de nombreux facteurs physiologiques et psychologiques et sont liées aux bouleversements de la grossesse et de l’accouchement.
La reprise du travail est évidemment source de stress pour la majorité des jeunes parents, mais elle peut être anticipée en douceur. Inutile de mettre le nez dans les dossiers avant le jour J, mieux vaut profiter du congé maternité pour prendre soin de soi et du bébé. Le cerveau a certes connu des modifications, mais c’est pour mieux développer de nouvelles compétences qui seront de bonnes ressources dans la vie personnelle et professionnelle.