En prenant de l’âge, la maladie d’Alzheimer inquiète, trotte dans la tête. “Je ne sais plus ce que j’ai fait de mes lunettes… je pense qu’Alzheimer me guette”. Dire qu’aucune modification n’intervient pendant le vieillissement serait utopique. La transmission des informations entre les neurones devient plus lente, le volume de certaines aires cérébrales diminue un peu. Autant de transformations qui se répercutent nécessairement sur le comportement. Toutefois, les caractéristiques du vieillissement dit “normal” sont différentes de celles provoquées par la maladie d’Alzheimer.
La mémoire
La crainte principale concerne généralement la mémoire. Yvonne, dynamique retraitée de 70 ans, est préoccupée par les mots qui restent coincés sur le bout de sa langue : “J’ai toujours eu beaucoup de vocabulaire, mais en vieillissant, je me rends compte que je ne trouve plus mes mots aussi rapidement qu’avant. Résultat, j’utilise de plus en plus d’expressions imprécises comme “truc” ou “machin”. J’avoue que cette satanée maladie d’Alzheimer me fait peur.”
D’après certaines théories en neuropsychologie, la mémoire correspondrait à un processus composé de trois étapes. Pour vous aider à bien comprendre, prenons l’exemple d’une recette de cuisine. Imaginons que vous réalisez pour la première fois un gâteau au yaourt, vous allez probablement retenir les ingrédients ainsi que les différentes étapes de la recette. La première phase est la phase d’enregistrement ou d’apprentissage, appelée “encodage”. Une fois la préparation terminée et le gâteau dégusté, vous n’aurez plus besoin de garder à l’esprit les étapes de la recette.
Cependant, pour vous faire gagner du temps dans le futur, votre cerveau va garder une trace de ce nouveau savoir. Il s’agit de la deuxième phase du processus : le “stockage”. Une semaine plus tard, vous aurez peut-être à nouveau envie de réaliser ce gâteau.
Vous vous rappellerez de la plupart des ingrédients nécessaires. L’accès à ces connaissances sera possible grâce à la troisième phase du processus : la récupération.
Bien entendu, si ce n’est que la deuxième fois que vous faites ce gâteau, vous aurez encore besoin de la recette.
Une des différences majeures entre les modifications liées à l’âge et celles liées à la maladie d’Alzheimer concerne les étapes du processus de mémorisation. Si dans les deux cas la phase de récupération paraît endommagée, la phase d’encodage est sélectivement atteinte dans la maladie d’Alzheimer. En d’autres termes, les personnes âgées avec ou sans maladie d’Alzheimer connaissent des difficultés à accéder aux informations stockées en mémoire. Cette caractéristique explique notamment les sensations de mots sur la langue ressenties par Yvonne. Chez les malades, toutes les étapes sont atteintes : l’encodage, le stockage et la récupération. Concrètement, cela signifie que dans le vieillissement normal, le mot sur la langue pourra être retrouvé, car il est toujours stocké en mémoire. À l’inverse, chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer, le mot ne sera ni retrouvé ni reconnu, même avec de l’aide d’une tierce personne, car il a été oublié, voire n’a pas été enregistré.
L’orientation spatiale
Un autre symptôme couramment décrit dans la maladie d’Alzheimer est la difficulté à s’orienter dans l’espace.
Marcel, 74 ans, se demande : “lorsque j’ai le choix de me rendre à un endroit que je connais où dans un nouvel endroit, je préfère aller dans le lieu connu. Quand j’étais plus jeune, j’aimais partir à l’aventure. Aujourd’hui j’ai l’impression que m’organiser pour une nouvelle destination me demande beaucoup d’énergie. Je ne sais pas si cela doit m’inquiéter ou si cette sensation est normale”.
Des études ont montré que la capacité à s’orienter dans l’espace se dégraderait aussi dans le vieillissement normal. Cette diminution d’aptitude, due à la dégradation de compétences plus générales (passer d’une tâche à une autre, trier les informations pertinentes et non pertinentes), concernerait avant tout les trajets inconnus. Évidemment, la complexité du parcours (avec de nombreux changements de directions) influencerait également la capacité d’orientation. Marcel peut se rassurer, sa crainte liée à suivre un trajet inconnu semble tout à fait naturelle !
Dans la maladie d’Alzheimer, les difficultés à se repérer dans l’espace apparaissent très précocement. La désorientation serait provoquée, du moins en partie, par la dégradation de la mémoire. Ainsi, assez rapidement dans le développement de la maladie, les difficultés à s’orienter engloberaient aussi les environnements connus.
Contrairement au vieillissement normal, Le repérage dans l’espace ne concernent que les lieux inconnus et/ou complexes.
La reconnaissance des visages
Jean, 81 ans, est rentré perturbé du marché : “je faisais la queue pour acheter du fromage, quand j’ai croisé au loin le regard de ce monsieur qui me souriait. Nous nous sommes salués de la main, son visage m’était familier, mais je suis incapable de savoir qui il était”.
D’après plusieurs études, la capacité à reconnaître l’identité d’une personne à partir de son visage se détériorerait dès l’âge de 50 ans et s’accentuerait à partir de 70 ans. Différentes explications ont été proposées, mais toutes suggèrent que cette difficulté serait en fait la conséquence d’autres modifications comportementales plus générales. Par exemple, les stratégies visuelles (mouvement des yeux, parties du visage particulièrement observées) seraient différentes chez les adultes jeunes et chez les adultes âgés. Alors que les jeunes se focaliseraient principalement sur la région des yeux, les plus de 60 ans se concentreraient surtout sur le nez et la bouche, stratégie à l’évidence moins efficace. Avec l’âge, certaines aptitudes ont tendance à se détériorer (sélection des informations pertinentes de l’environnement, manipulation d’informations en mémoire tampon), se répercutant sur des compétences de la vie quotidienne. L’analyse d’un visage étant une tâche complexe, nécessitant la mise en relation d’une grande quantité d’informations, il n’est pas si étonnant que la capacité à en reconnaître une identité se dégrade avec l’âge. Toutefois, les difficultés survenant dans le vieillissement normal restent légères, et n’interfèrent pas avec la qualité de vie.
Dans la maladie d’Alzheimer, les troubles de la mémoire réduisent encore plus la reconnaissance des visages. Au-delà de la reconnaissance en elle-même, mémoriser un nouveau visage, ou encore l’associer avec un nom, devient de plus en plus dur. Petit à petit, même le sentiment de familiarité (impression de connaître) s’amenuise, aptitude au contraire préservée dans le vieillissement normal. Au début de la maladie, la difficulté concerne principalement les visages de célébrités ou de connaissances ne faisant pas partie de l’entourage proche. Au cours de son développement, elle peut s’étendre aux amis, à la famille, voire au patient lui-même.
Le langage
Dans le vieillissement normal, la capacité de s’exprimer à l’oral, ainsi que celle de comprendre, seraient préservées. Certains de ses aspects, comme le vocabulaire par exemple, s’amélioreraient même avec le temps. Comparativement aux adultes jeunes, l’accès au vocabulaire est cependant ralenti. Ce ralentissement se manifeste par une utilisation plus fréquente de termes généraux au détriment de mots précis. Cette caractéristique peut être directement mise en lien avec les difficultés de récupération en mémoire citées précédemment.
Dans la maladie d’Alzheimer, le langage fait à l’inverse partie des fonctions les plus précocement atteintes : le vocabulaire se réduit, les phrases se raccourcissent, le nombre de pauses augmente et l’enchaînement des idées devient plus difficile. Progressivement, des troubles de la compréhension apparaissent également.
La maladie d’Alzheimer fait peur, aussi, chaque étourderie peut être interprétée comme le signe d’une maladie débutante. Pourtant, le vieillissement normal engendre également certaines modifications du comportement. Récupérer des informations en mémoire demande par exemple plus de temps, trouver son chemin en utilisant un parcours inconnu demande plus d’énergie, reconnaître une connaissance à partir de son visage devient plus difficile. Cependant, même si toutes ces compétences perdent en efficacité avec le temps, elles n’entraînent pas de diminution de la qualité de vie. En ce qui concerne le langage, s’il est précocement impacté dans la maladie d’Alzheimer, compréhension et expression orales sont préservées dans le vieillissement normal.