Prenons le cas de Manon, 4 ans, pétillante à la maison mais qualifiée de timide à l’extérieur. Ses parents ne comprennent pas pourquoi leur fille n’exprime pas un mot, une fois sortie de leur appartement. Elle ne répond pas aux voisins lorsqu’ils disent bonjour, prend volontiers la baguette de pain sans adresser un « merci » à la boulangère ou encore ne répond pas à une question simple que pose la maîtresse en classe.
Lydie, la maman de Manon, met cela sur le compte du caractère bien trempé de sa fille. Alors, Manon fait-elle de la résistance en ne disant aucun mot en dehors de chez elle ?
Les émotions et le tempérament
Durant la première année de vie, l’enfant construit son attachement avec ses parents. Pour que l’attachement soit de qualité, les parents doivent être disponibles, stables et cohérents avec leur bébé. L’attachement favorise la sécurité émotionnelle et affective de l’enfant.
Cette sécurité intérieure lui permet de s’aventurer à parler avec les autres. Certains enfants, plus vulnérables sur ce plan, auront du mal, par la suite, à investir une relation à l’autre par le langage.
Par ailleurs, le tout-petit est souvent l’objet de trop-plein émotionnel qu’il doit apprendre à gérer. Progressivement, l’enfant doit être capable de réguler ses émotions qui peuvent parfois le déborder et sont exacerbées dans la relation à l’autre.
Le tempérament d’un enfant entre aussi en jeu dans son rapport à l’autre. Timides ou sociables, les enfants n’investissent pas la relation à l’autre de la même manière. Cela est tout à fait normal et change au fur et à mesure des expériences sociales que l’enfant vivra. Au sein d’une même famille, l’un se montrera très à l’aise pour oser s’exprimer quand le second aura plus de réticence à parler avec les autres. Ces différences sont normales et s’observent chez tous les enfants.
L’enfant, en grandissant apprendra à s’adresser aux autres. Cela deviendra naturel et il gagnera en assurance.
Parler c’est grandir !
Comme marcher, apprendre à parler est une étape importante dans la vie d’un enfant qui n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Au départ, le petit enfant n’est pas très à l’aise avec sa parole, la construction de ses phrases et ne trouve pas toujours les bons mots pour préciser sa pensée. Le langage est encore fragile mais il fonctionne. Très tôt, malgré les fragilités normales du langage, l’enfant doit interagir avec les autres. On comprend ainsi que parler c’est se lancer, se risquer et peut-être même se tromper. Cette expérience sera évidente avec son parent mais en faire de même avec un inconnu ne représente pas le même enjeu. « Comment l’autre que je ne connais pas va-t-il réagir ? » Si l’on se place un instant dans la tête d’un enfant, voilà ce qui peut s’y passer.
Et puis, parler c’est agir en son nom, c’est s’autonomiser et se différencier des autres. Autrement dit, parler c’est se séparer progressivement de ses parents et se construire une identité propre. Rappelez-vous, à l’approche de ses douze mois, lorsque vous laissiez votre enfant à une personne peu familière, peut-être pleurait-il ? C’est tout à fait normal et cela a même un nom : l’angoisse de séparation ou la peur de l’étranger. Nous pouvons considérer que le même phénomène se répète mais avec le langage cette fois !
Qu’est-ce que le mutisme sélectif ?
Dans des formes extrêmes, on retrouve le mutisme sélectif. Il s’agit d’un trouble anxieux de l’enfance qui se caractérise par l’incapacité de l’enfant à parler dans certains endroits, comme à l’école, alors qu’il parle facilement dans les endroits où il se sent à l’aise.
Ce trouble est souvent méconnu et mal compris. Il est fréquemment associé à la phobie sociale et apparaît généralement entre 3 et 6 ans.
Pour ces enfants qui savent parler, s’exprimer en dehors du cercle familial est impossible depuis plusieurs mois. Si le silence de votre enfant est massif à l’extérieur et tranche avec ce qu’il raconte à la maison, il est recommandé de consulter un orthophoniste.
Avec l’expertise de professionnels tels que le médecin traitant, l’orthophoniste ou encore le psychologue, le diagnostic du mutisme sélectif ou extra-familial pourra être posé. L’orthophoniste a pour mission d’exclure tout autre trouble langagier sévère qui empêcherait l’enfant de parler.
D’éventuelles orientations vers des professionnels complémentaires et un suivi orthophonique seront proposés afin d’accompagner l’enfant mutique et sa famille pour que la parole se libère en douceur.
À noter que les enfants en situation de bilinguisme sont plus susceptibles de développer un mutisme sélectif.
Quelles attitudes face à un enfant qui ne parle pas ?
Les parents sont le plus souvent frustrés du silence incompréhensible de leur enfant avec les autres. Cela génère de la confusion voire de l’agacement et alimente les tensions parents/enfant. Attention, un enfant mutique ne fait pas de caprices. Il est en proie à de réelles difficultés qui s’expriment par le silence et qu’il ne faut pas sous-estimer.
Face à un enfant mutique, les attitudes parentales sont capitales. Grâce à elles, l’enfant pourra progressivement prendre confiance dans sa prise de parole.
Prenons une situation de la vie quotidienne : le premier contact avec une personne peu familière passe le plus souvent par le classique « bonjour ! » qui s’en suit d’un chaleureux « au revoir » à suggérer mais à ne pas imposer strictement à l’enfant. Ces formules de politesse sont bien sûr importantes et il en va des principes d’éducation inculqués aux enfants. Cependant, forcer à la politesse est souvent contre-productif. Cette attitude n’invite pas l’enfant à saluer ou remercier un voisin croisé au détour d’une rue.
– Comme l’enfant apprend en imitant les comportements des plus grands, montrez l’exemple en disant soi-même « bonjour », « merci », « au revoir » est l’attitude la plus naturelle et la plus efficace qu’il soit.
– Les exigences et la pression parentales ne fonctionnent pas. Gardez à l’esprit que la bienveillance à l’égard de votre enfant et le modèle que vous lui offrez sont vos meilleurs alliés. S’il y a une règle à retenir, c’est celle-là : Ne jamais forcer un enfant à parler !
– Faites-lui confiance et n’ignorez pas sa difficulté à parler aux autres. Parlez-lui en et essayez de nommer ou de lui faire nommer les émotions qui y sont liées.
– En présence d’autres personnes, inclure votre enfant dans la communication est aidant pour lui. Le questionner habilement pour le mettre en confiance est une bonne technique pour qu’il prenne lui-même la parole tout seul par la suite.
– Laissez-lui le temps de répondre, de parler, d’exprimer une idée. Les enfants mutiques sont généralement plus lents à répondre à une question, le temps accordé est une aide précieuse !
– Retenez aussi qu’il est plus simple pour l’enfant d’exprimer un mot qu’une longue phrase. Lui poser une question fermée aura plus de chances d’aboutir à une réponse de sa part (À quoi a-t-on joué au parc ? Au ballon !)
À l’école
L’école est le lieu où le mutisme de l’enfant prédomine et c’est souvent lors de l’entrée à l’école que le trouble est mis en évidence s’il persiste.
Un enfant mutique aura tendance à se faire oublier et à passer pour un enfant timide. En tant qu’enseignant ou ATSEM, quelques adaptations peuvent aider l’enfant mutique :
- Être attentif à ses réactions, à son comportement
Demander d’aller aux toilettes pour un enfant mutique est compliqué, selon son comportement, vous pouvez lui proposer de s’y rendre et lui montrer que vous faites attention à lui - Continuez à le solliciter et à interagir avec lui
Lui poser des questions, soigner la relation et lui montrer qu’il existe, ont un effet positif. Attention toutefois à faire preuve de tact et de douceur. Un contact trop direct peut être bloquant pour ces enfants - Permettre à l’enfant d’avoir des responsabilités en classe, d’agir sans recourir obligatoirement au langage
Donnez des missions en tant qu’élève pour sonner la cloche de la récréation ou ranger l’activité puzzles lui procure un sentiment gratifiant - Valorisez les petites prises de parole en collectif ce qui l’amène à le reproduire un peu plus encore
Par petites touches, il gagnera du terrain sur le chemin de l’expression orale dans le groupe classe et dans n’importe quel groupe d’ailleurs !